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Voilà l’ensemble des pensées nettes et hautes des enfans légitimes de Syrlin. Pensée, à la fois, chrétienne et païenne ! Impartial comme Michel-Ange, entre le passé et le présent. Ses avortons, ses mauvais songes, je les vois sculptés autour des stalles d’en bas. Je dis ses songes, car, dans ces grotesques, je ne sens pas la satire, mais bien plus le cauchemar.


V. — ENTRÉE EN BAVIÈRE. — GÜNZBOURG. — AUGSBOURG.

Mardi 4. — Je sors de la Souabe pour entrer en Bavière. Le type change, les visages sont plus ronds. A Günzbourg, nous sommes en plein catholicisme. Vêpres bruyantes, je ne sais en l’honneur de quel saint ; chants nasillards, écrasés par tout le cortège des trompettes. Les autels sont étranges ; les saints, de jeunes et jolis imberbes, en carton peint, offrent, en gambadant, des cœurs à la Vierge.

Leste et jolie, elle descend des nuages d’un pas de danseuse pour les recevoir. Il y a dans tout cela de l’Italie, une Italie lourde et barbare, violente et gesticulante : une grâce d’ours.

Dans les rues, même étrangeté : un bénitier à la porte d’un cabaret, et les paysans qui entrent et qui sortent, prenant l’eau bénite et se signant. Dans un billard, un grand crucifix à chaque instant heurté par les joueurs. Sur la route, à chaque pas, des ex-voto cloués aux arbres ; de mauvaises petites images grossièrement encadrées ; enfin, en nombre infini, des saint-François langoureux qui font au passant les yeux doux.

J’apprends que c’est aujourd’hui la fête du saint ; la foule endimanchée se porte aux églises, les femmes avec des bonnets d’or et d’argent sur la tête, les hommes en noir, tous armés de leurs parapluies rouges. Les figures sont moins douces et moins intelligentes qu’en Souabe.

La route circule entre des seigles hauts et mûrs, le froment est en train de mûrir. C’est le beau moment de l’année : température chaude, un peu lourde d’orage à la fin de la journée. Le soleil, déclinant, traverse de ses rayons obliques une forêt d’arbres verts et dore le tapis des mousses des plus chaudes, des plus riches teintes.

Me voici dans Augsbourg. Mon vieil hôtel des Trois Maures est tout près d’une église, de Saint-Maurice. De ma fenêtre je vois la foule se diriger de ce côté, un livre d’heures à la main. Je descends, je la suis, j’entre avec elle, j’interroge, on me répond :