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Toute cette suite mêlée de nature et d’idéal, de portraits et de poésie ; par exemple, au-dessus d’une porte voisine de l’autel, une céleste figure échevelée, toute dantesque, entre deux jolies jeunes filles qui ont été, visiblement, des demoiselles de la ville d’Ulm ; l’une, en Sainte Ursule, tient une flèche, et, malgré la candeur de son doux regard, vous croiriez que la flèche est pour vous.

De l’autre côté, en regard, les docteurs chrétiens ; plus bas, les Prophètes et Juges. Isaïe… un Job chrétien résigné ; Samson, ouvrant, avec une douceur grandiose, la gueule du lion pour en tirer le miel du fort. Toutes figures qui visiblement veulent, désirent, aspirent… Les femmes souffrent moins ; les unes, originales, spirituelles comme Rébecca, avec son regard perçant ; d’autres barbares et jolies, comme la reine de Saba, comme Abigaïl, comme Ruth et sa gerbe d’or ; l’artiste a donné place même à la laide, à Lia, douce compensation d’un grand cœur !

Plus bas que les Prophètes et Juges, par conséquent au niveau des Sibylles, les témoins païens du christianisme.

Le choix était délicat, difficile. Syrlin ne semble pas avoir été embarrassé. Mais quel est celui qui répond à la Libyca qui est de l’autre côté ?… Pline ? Je ne le crois pas. Il ressemble un peu à Syrlin que je vois au coin, suscitant, fécondant, de son mâle regard, tous ces fils de sa pensée. Ce Secundus semble être sa seconde âme, celle qui le rêva. Il regarde comme lui le chœur. Syrlin est la pensée créatrice, féconde ; son secundus, la haute intelligence, la philosophie tacite de cette création.

En face du silencieux, le parleur Quintilien ; son livre est fermé. — Puis le fin, l’aigre, le ridé Sénèque ; mille concetti dans les plis de son visage. En regard, tête nue, les yeux à demi fermés, Ptolémée tenant son petit globe comme une marotte de fol.

Cicéron, noble, fort, tête large à contenir toute science, honorablement coiffé, comme Quintilien et Sénèque, de la barrette de docteur.

Vis-à-vis, le buste pathétique du pan Are esclave africain Térence, cheveux épars, sous ses lauriers, maigre, épuisé. Au bas : Nihil homine imperito injustius.

Enfin, tout seul, la souffrante et. rêveuse figure de Pythagore « inventeur de la musique ». Il est devant l’autel, mais ne le voit pas, étant trop absorbé en lui.

Ainsi, dans cette noble suite, l’art ouvre et ferme ; au milieu : Philosophie, Sciences et Lettres. Aux deux bouts l’Art ; celui du dessin, Syrlin, qui regarde au dehors ; — l’art de la Musique, Pythagore, qui regarde au-dedans.