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italiens et des ouvriers français. Mais d’abord que de difficultés dans la détermination de ce minimum ! On évaluerait sans doute, pour les ouvriers de chaque région, un minimum de besoins matériels — peut-être, selon une formule d’Adam Smith, ce que couteau juste l’entretien d’une famille de quatre personnes, — et ce premier chiffre servirait à fixer l’autre : l’embarras serait grand, car les besoins de chacun varient selon la santé, le tempérament et les habitudes. Admettons néanmoins que les pouvoirs publics, doués d’une clairvoyance exceptionnelle, touchent le but et marquent le point précis avec une exactitude infaillible : on ne saurait oublier que le problème a deux faces. Tous les patrons ne s’enrichissent pas ; un grand nombre d’entre eux font même d’assez mauvaises affaires. Or, comme la baisse universelle des salaires dans une même industrie correspond nécessairement à quelque cause générale (guerre, émeute, épidémie, mauvaise récolte, disette, etc.)[1], il se peut que le patron soit placé dans cette alternative : réduire momentanément les salaires au-dessous du taux réglementaire ou fermer son usine. On aurait beau proclamer le droit au travail, même dans les rapports de « l’employeur » et de « l’employé », ou répéter après M. Ben Tillett : « Ce ne sont pas les prix qui doivent régler les salaires, mais les salaires qui doivent régler les prix ; ces sophismes ne sauraient prévaloir contre la force des choses : le taux du salaire varie nécessairement avec les conditions économiques et sociales du marché, parce que nul ne peut contraindre « l’employeur » à se ruiner, moins encore à trouver, une fois ruiné, les moyens de continuer son commerce. La puissance publique elle-même est arrêtée dans ce nouveau mode d’intervention par un obstacle insurmontable : si le minimum possible est inférieur au minimum légal, il est seul légitime, étant seul praticable. Il faudra bien le subir, à moins que la collectivité ne se charge de combler la différence, ce qui serait absurde.

Par un motif analogue, on ne doit pas faire revivre cet arrêté de la Commune de Paris du 27 avril 1871 qui défendait d’inscrire au nombre des peines disciplinaires, dans les règlemens d’ateliers, une retenue quelconque sur les salaires. Le parti « socialiste ouvrier », ses programmes électoraux en font foi, tient beaucoup à remettre en vigueur cette mesure prohibitive, et la dernière Chambre des députés a cru devoir exaucer son désir en votant une proposition de M. Dumay, qui proscrivait les retenues et les

  1. Si d’aventure quelque baisse de salaire dépendait d’un caprice, la concurrence entre patrons d’une part, le droit de grève de l’autre, seraient les régulateurs du marché.