Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/527

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sentiment, des publicistes ont voulu devancer les gouvernemens dans l’œuvre de conciliation que les peuples appellent de tous leurs vœux. Ils ont imaginé des transactions fondées tantôt sur des échanges, tantôt sur des compensations, sans jamais avoir pu se dissimuler que la difficulté capitale est en Alsace-Lorraine. Nous ne saurions les suivre sur ce terrain où les combinaisons le mieux justifiées, celles même qui semblent le mieux démontrées, sont dépourvues d’autorité autant que de sanction. Si la question est du domaine de l’opinion publique à certains égards, elle relève exclusivement, quant aux solutions, de l’initiative et de l’accord des gouvernemens. C’est à eux d’y pourvoir ; ils y sont préposés par la plus précieuse des missions entre toutes : celle d’assurer aux nations, dont les destinées leur sont confiées, la paix et la prospérité. C’est la tâche dévolue à la diplomatie. Si on veut lui en laisser le soin, elle doublera ce cap des tempêtes. Que de conflits n’a-t-elle pas conjurés, que de guerres n’a-t-elle pas arrêtées ? Fût-elle en présence d’un nœud gordien, elle le dénouerait ; notre état de civilisation le comporte et l’exige ; ou bien il faudra le trancher, recourir au sabre, et le premier coup porté sera le prélude de désastres qu’aucun siècle n’aura connus. L’œuvre de M. de Bismarck se trouvera consommée par le fer et par le feu bien au-delà des limites que son orgueil lui avait assignées. La responsabilité de l’initiateur sera partagée par ses continuateurs. S’ils ne veulent pas l’encourir, qu’ils se hâtent, le temps presse ; qu’ils songent qu’une guerre mettra aux prises plusieurs millions d’hommes formidablement armés. « La paix, aurait dit l’empereur Guillaume en apprenant l’accueil fait à notre flotte devant Cronstadt, n’est plus entre mes mains. » C’est une erreur. De tous les souverains de l’Europe, il est celui qui peut plus et mieux lui donner les bases qui lui sont nécessaires pour être durable. Peu de princes, avant lui, ont eu l’heureuse fortune de rencontrer une tâche à la fois plus noble et plus glorieuse.