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effectifs et allouant au gouvernement les crédits nécessaires à cet effet. Il a dû s’expliquer, pour convaincre le parlement des nécessités auxquelles il était urgent de pourvoir, et il la fait avec une entière franchise. Son discours est, en quelque sorte, un plan de campagne. « Lorsque nous avons franchi la frontière française en 1870, a-t-il dit, nous l’avons franchie avec dix-sept corps d’armée… tandis que huit corps d’armée français seulement nous étaient opposés… Dans la future guerre, a ajouté M. de Caprivi raisonnant comme si elle devait éclater demain, nous trouverons, devant nous, des corps d’année français au moins aussi nombreux que ceux avec lesquels nous entrerons en ligne. Nous trouverons en outre une armée de réserve qui vaudra, à peu près, l’armée de première ligne. Mais admettons que nous franchissions la frontière, que nous remportions des victoires, que trouverons-nous en France ? Une ligne de forts d’arrêt… situés sur la Meuse et sur la Moselle… puis en arrière nous trouverons la série des grandes forteresses françaises, Verdun, Toul, Epinal. Nous avançons cependant et nous battons l’armée de réserve française ; nous nous dirigeons sur Paris, mais nous ne trouvons plus le Paris de 1870 ; nous trouvons, au contraire, une forteresse comme le monde n’en a pas encore vu, entourée de 56 forts. » A vrai dire, en parlant ainsi, M. de Caprivi ne se proposait pas seulement de mettre en relief les obstacles qu’il faudra surmonter dans la nouvelle campagne, obstacles qui exigent de nouveaux et de plus puissans moyens que ceux dont on disposait en 1870, il répondait en même temps à une opinion assez répandue en Allemagne pour qu’il ait jugé nécessaire de la combattre à la tribune du Reichstag. Que veut cette opinion ? Elle conseille une guerre préventive, c’est-à-dire un conflit immédiat pour réduire la France à une impuissance durable avant qu’elle ait donné, à ses forces militaires, tout le développement qu’elles comportent encore, la guerre, en somme, voulue par M. de Bismarck et le maréchal de Moltke en 1875. Le fait mérite d’être noté, et il est indéniable, puisque le chancelier de l’empire l’a, lui-même, reconnu et constaté. Il n’était pas superflu de le retenir parce qu’il démontre que de l’autre côté de la frontière, dans l’armée allemande surtout, on incline à voir dans une guerre, à courte échéance, l’unique solution des difficultés présentes pendant qu’on accuse hautement la France de guetter, avec passion, l’occasion de la revanche.

Qu’a fait la France pour provoquer une si belliqueuse impatience, quelle a été son attitude, quelle conduite a-t-elle tenue ? Le chancelier l’a indiqué lui-même dans les paroles que nous venons de citer ; la France a consacré tous ses soins à se mettre sur un pied de défense respectable. Mais la défense, à moins de