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reconstituer son armement, pour équilibrer ses finances. Qu’avait-elle à revendiquer de l’Italie, quel territoire, quelle concession ? Elle lui demandait uniquement de resserrer les rapports économiques entre les deux pays, également profitables au commerce et à l’industrie de l’un et de l’autre. On n’a jamais prétendu sérieusement à Rome que la République préméditât la restauration du pouvoir temporel de la papauté. Une pareille accusation eût été dérisoire et eût soulevé la conscience publique en Europe. Par une apostrophe qui a peut-être excédé sa pensée, Gambetta avait donné un gage qui ne permettait pas de soupçonner les intentions des hommes qui avaient pris, avec lui, le gouvernement du pays. Grace à cette fortune, qui l’avait si prodigieusement servie, l’Italie se trouvait, en ce moment, en possession de toutes les garanties qu’elle pouvait désirer pour sa sécurité. Leur propre intérêt commandait à la France et à l’Allemagne de veiller à l’indépendance de la péninsule : le gouvernement du roi Humbert était assuré de l’appui et du concours de l’une ou l’autre puissance dans toutes les éventualités qui pouvaient se produire. On n’aurait su imaginer pour un État naissant, tenu de pourvoir à sa prospérité intérieure, au développement de toutes ses ressources, une situation internationale plus avantageuse.

On n’avait donc, à Rome, aucune raison de renoncer à cette heureuse neutralité qu’offrait à l’Italie la position respective que la paix imposait aux belligérans de 1870. On s’en détourna cependant, et il fallut justifier cette résolution. Que prétendit-on ? Que le royaume italien, de création récente, devait contracter des alliances pour la défense de ses frontières. L’argument n’était pas sérieux ; M. Crispi pourtant, comme ses prédécesseurs, n’en a jamais opposé aucun autre à ses contradicteurs, aux patriotes restés fidèles aux convictions qu’il partageait autrefois avec eux. Mais, lui a-t-on répondu, qui menace nos frontières, où est le péril ? Vains efforts ; pas plus que Depretis, il n’a consenti à éclairer les membres du parlement alarmés par les nouvelles amitiés de l’Italie. M. Crispi, en prenant le pouvoir, avait reçu communication du traité d’alliance ; cet acte mystérieux l’a-t-il, contre son gré, voué au silence comme l’ont été ceux qui l’ont conclu ? Il contient donc des dispositions propres à opérer les conversions les plus invraisemblables. C’est qu’en effet, s’il a pour objet ostensible de garantir à l’Autriche la possession des provinces d’origine italienne, à l’Allemagne celle de l’Alsace et de la Lorraine, il doit promettre à l’Italie des avantages compensateurs. On n’imaginerait pas que M. Crispi ait pu, à son tour, se constituer le gendarme des anciens dominateurs de son pays sans aucune rémunération éventuelle. Il a toujours eu et il a