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prémédité, dont on fit grand bruit ; pour aigrir les esprits, accusant le gouvernement français d’un grand nombre de méfaits dont il n’avait jamais eu la pensée, celui notamment d’entretenir des rapports trop intimes avec le Vatican et d’encourager ses espérances. On provoqua ainsi un mouvement d’opinion qui, de proche en proche, gagna toutes les provinces de la péninsule. En même temps, un diplomate italien, le comte de Robilant, le coryphée des conservateurs, préparait le terrain à Vienne où il était accrédité en qualité d’ambassadeur. Il y était encouragé par ses amis de Rome et efficacement soutenu par M. de Bismarck.

Avec son esprit avisé, avec sa lucide prévoyance, Victor-Emmanuel sut, à l’origine de ces agitations, en tempérer les écarts et les vivacités. Il sut contenir le zèle et l’impatience de ceux de ses conseillers qui prêtaient l’oreille aux fallacieuses insinuations de M. de Bismarck. Sans oublier les services reçus, sans répudier ceux qu’on promettait de lui rendre, il ne blessa ni ses amis de la veille, ni ceux du lendemain ; il attendait les événemens, résolu à ne prendre conseil que des circonstances. Il mourut en 1878, laissant les choses en cet état, sans avoir contracté aucun engagement, sans avoir mécontenté ni la France ni l’Allemagne. Bientôt l’Italie accédait au traité austro-allemand ; ce fut le premier acte important du nouveau règne, révélant une politique nouvelle et bien définie. Que le roi Humbert Ier soit un fervent apôtre de cette orientation de l’Italie, nul ne saurait en douter, et nous ne croyons pas énoncer ici une allégation faite pour lui déplaire. Rien d’ailleurs n’est plus loin de notre pensée que le dessein d’articuler une affirmation quelconque propre à blesser le souverain d’un pays auquel nous avons été, auquel nous serons avant longtemps, nous en avons la confiance, étroitement unis. Mais quand on envisage de si graves événemens, le premier devoir qui s’impose est de chercher à pénétrer, à définir le sentiment des hommes qui y ont participé, princes ou ministres. Nous l’avons vu, la constitution italienne fait au souverain une large part dans la direction et le contrôle des rapports du royaume avec les autres puissances. Il peut, avons-nous dit, conclure, avec elles, des traités en vue d’une guerre sans être tenu de faire ratifier ses engagemens par les Chambres, sans être même obligé de leur en donner connaissance. Si bien que le pays est engagé éventuellement à tirer l’épée sans avoir été instruit des causes ou des nécessités qui ont déterminé ou contraint le roi et son gouvernement à prendre une si solennelle détermination, ni de l’étendue des sacrifices qu’il peut avoir à s’imposer.

C’est le régime parlementaire tel qu’on l’entend en Allemagne et nullement tel qu’on le pratique dans les pays dotés d’une