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en Autriche. Le ressentiment de M. de Bismarck avait survécu à la défaite de son adversaire politique. Qui ne se souvient des persécutions qu’il a si brutalement exercées contre M. d’Arnim ? Le chancelier pensait que la république, en France, serait une source permanente de troubles et de déchiremens ; l’ambassadeur, malgré les remontrances de son chef, restait persuadé qu’elle serait un danger sérieux pour le principe monarchique en Europe ; il n’a commis aucune autre faute, et aujourd’hui encore. M. de Bismarck accable sa mémoire en refusant, au fils de sa victime, de la relever d’une calomnie née dans les entretiens de Friedrichsruhe. En recueillant, matin et soir, les épanchemens auxquels le chancelier se livrait dans l’intimité de son entourage pendant la campagne de France, M. Maurice Busch nous le montre constamment obsédé du besoin de nuire aux provinces envahies. M. de Bismarck reproche aux militaires de trop ménager les personnes et les choses. On fait trop de prisonniers, dit-il, et il en est, comme les francs-tireurs et les turcos, qu’on aurait dû fusiller impitoyablement. La misère des paysans, se réfugiant dans les bois, ne le touche nullement : « si les fuyards eux-mêmes tombaient entre mes mains, ajoute-t-il, je leur prendrais leurs vaches et tout ce qu’ils ont en les accusant de l’avoir volé. » Etrange doctrine dans la bouche d’un homme d’Etat ! Nous pourrions citer un mot cruel, impitoyable, qui met à nu l’âme du chancelier de fer. Nous nous en abstenons parce qu’il le place sur les lèvres de la princesse de Bismarck. Nous préférons renvoyer le lecteur curieux au livre de M. Busch[1].

La paix conclue, rien ne modifie ses dispositions. Il surveille anxieusement la France dont il n’avait pas, à son gré, consommé la ruine. Nous avons vu de quel élan il a voulu se jeter de nouveau sur elle dès qu’il a pu redouter son prochain relèvement. La Russie entrave ses projets, elle ose le braver, c’est aussitôt contre elle qu’il dirige son ressentiment et sa colère. Il l’humilie à Berlin, il conclut à Vienne un traité qui vise surtout l’empire du Nord.

C’est une erreur, dit M. de Bismarck, que d’envisager ainsi l’alliance de l’Allemagne et de l’Autriche, d’y voir exclusivement une arme de guerre ; elle n’a qu’un but, le maintien de la paix ; c’est pour l’assurer à l’Europe que cette union a été conclue et signée. La guerre, ajoute-t-il dans des entretiens dont les échos retentissent à son gré, nous a donné tout ce que nous pourrions en attendre ; elle ne pourrait que compromettre les avantages qui nous sont acquis et qui ne peuvent être consolidés que par la paix. — Mais si le repos du monde, lui a-t-on répondu, était

  1. Le comte de Bismarck et sa suite pendant la guerre de France, p. 195. Dentu, éditeur.