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Dans un ouvrage qui est en cours de publication au moment où nous écrivons, l’Empire allemand du temps de Bismarck, par M. Hans Blum, que nous avons déjà cité, l’auteur, s’autorisant des confidences qui lui ont été copieusement octroyées à Friedrichsruhe, entreprend de nous donner une version nouvelle des causes qui ont éloigné la Russie de l’Allemagne, et provoqué l’entente de l’empire germanique avec l’Autriche. Aux termes du traité de Berlin, raconte-t-il, une commission internationale devait se réunir à Novi-Bazar pour délimiter les frontières de la Turquie et des provinces émancipées. Par trois lettres successives, le tsar demanda à l’empereur Guillaume que le délégué de l’Allemagne fût autorisé à se concerter avec celui de la Russie. « L’assentiment de Berlin, aurait écrit l’empereur Alexandre, est la condition du maintien de la paix entre les deux peuples. » Mis au courant de ces démarches, M. de Bismarck représenta à son souverain que si ces mots s’étaient trouvés dans une pièce officielle il se serait cru obligé de conseiller la mobilisation de l’armée allemande. Ne pouvant se permettre cet avis, il quitta Gastein, où il se trouvait, pour se rendre à Vienne et donner connaissance, au cabinet autrichien, des communication s’adressées par le tsar à l’empereur Guillaume. Sous quel aspect les présenta-t-il et comment les a-t-il envisagées ? Comme le prélude ou la révélation d’un accord imminent ou concerté entre la France et la Russie. « A l’alliance franco-russe, aurait répondu le comte Andrassy, ministre des affaires étrangères de l’empereur François-Joseph, il n’y a qu’un contrepoids, c’est l’alliance austro-allemande. »

Ainsi, au dire du nouvel apologiste de M.de Bismarck, écrivant, en quelque sorte, sous sa dictée, il faudrait attribuer à l’initiative du ministre autrichien la paternité du premier traité, devenu, depuis, celui de la Triple Alliance. Mais les hommes d’Etat qui veulent écrire l’histoire de leur temps, si habiles qu’ils soient, s’exposent souvent à redresser eux-mêmes les erreurs qu’ils veulent accréditer. Habent sua fata libelli. « Le comte Andrassy, dit encore M. Mans Blum, se déclara prêt à signer l’alliance, se portant fort de l’assentiment de son souverain. M. de Bismarck n’était pas aussi certain de celui de l’empereur Guillaume ; on rédigea néanmoins un projet et le chancelier allemand retourna à Berlin le 24 septembre. Le traité ne put être signé que le 7 octobre. La conclusion tardive de cet acte s’explique par le fait que le nouvel empereur ne voulut pas d’abord entendre parler de