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dans tous les rangs de la population, dut prendre les armes et marcher au secours de ses coreligionnaires de l’empire ottoman. Elle-déclara la guerre à la Turquie. On sait les sanglantes épreuves et les immenses sacrifices que cette lutte lui imposa. Ses armées franc lurent cependant les Balkans et arrivèrent en vue de Constantinople. La Turquie vaincue signa, à San Stefano, un traité qui était surtout avantageux aux populations chrétiennes, les unes totalement affranchies de la domination ottomane, les autres dotées d’une autonomie qui leur garantissait des avantages analogues. Par une clause spéciale, cet acte stipulait, en faveur de la Russie, le droit d’exercer son contrôle dans l’exécution et pour le maintien de ces arrangemens. L’Angleterre y vit une violation des engagemens que le gouvernement du tsar avait contractés au congrès de Paris, en 1850, après la guerre de Crimée, ce qui ne lui permettait pas, disait-il, de considérer les stipulations de San Stefano comme faisant partie du droit public européen, à moins qu’elles ne fussent soumises à l’agrément de toutes les puissances intéressées.

Quels furent, en cette solennelle occasion, le sentiment et la conduite de M. de Bismarck ? Le moment était propice pour dissiper les préventions qu’il avait inspirées a l’empereur Alexandre et à son gouvernement. Si le chancelier s’y était prêté, la Russie unie à l’Allemagne, n’ayant rien à redouter ni de l’Autriche ni de la France occupées à panser leurs plaies, eût pu braver la colère du cabinet britannique et décliner son intervention, comme la Prusse avait osé le faire après les campagnes de 1866 et de 1870. Dans l’une et l’autre occasion le gouvernement du roi Guillaume ou plutôt son premier ministre avait hautement repoussé toute immixtion des puissances dans les arrangemens qu’i avait résolu d’imposer aux vaincus. M. de Bismarck serait resté fidèle à sa propre doctrine en appuyant la Russie contre les prétentions de l’Angleterre et il aurait pu aisément renouer la cordiale entente qui avait si longtemps lié le cabinet de Pétersbourg à celui de Berlin. Oubliant les services reçus, la bienveillante neutralité de la Russie sans laquelle l’armée prussienne ne compterait à son actif ni Sadowa, ni Sedan, sans laquelle il n’eût pu ni expulser l’Autriche de l’Allemagne, ni envahir la France, le prince de Bismarck, sous l’empire d’un sentiment qui ne fut un mystère pour personne, se rangea à l’avis du cabinet de Londres, et d’accord avec lui il contraignit la Russie à donner son assentiment à la réunion d’un congrès qui se réunit à Berlin sur la proposition de l’Angleterre, désireuse de témoigner sa gratitude.

On s’assembla donc dans la capitale du nouvel empire, à la quelle pareil honneur n’était jamais échu, sous la présidence de