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II

Il n’est que trop exact de dire que l’agriculture traverse une période douloureuse, et il n’est personne qui ne compatisse à ses souffrances. Mais a-t-on bien réfléchi, avant d’entamer cette nouvelle campagne en faveur d’une recrudescence de protection ? S’est-on bien pénétré de l’importance du phénomène, de l’évolution qui domine tous les faits, déroute tous les calculs et dément toutes les espérances ?

Le seul point indiscutable, c’est que, tant que la période de liberté a duré, les prix du blé ont été stables et rémunérateurs : ils ont au contraire fléchi sans discontinuer depuis l’établissement des droits de 3 francs et de 5 francs. Quand on examine de près la situation des récoltes, le chiffre des importations de céréales étrangères et la superficie des terres emblavées, on constate qu’il n’existe entre ces divers élémens aucune corrélation logique, aucune loi de répercussion réciproque. Ainsi, des années qualifiées bonnes et même excellentes, pendant lesquelles la production nationale avait atteint un chiffre élevé, ont été en même temps des années de grande importation et de culture restreinte. Il y a là une telle somme de singularités que l’on devrait s’arrêter, hésiter, tout au moins, avant de s’engager, plus avant encore, dans une voie qui pourrait bien n’être qu’une impasse ou n’aboutir qu’à un abîme. L’avertissement, le cave ne cadas devrait être d’autant plus volontiers entendu qu’il n’est point, parmi les incertaines statistiques, de statistiques plus incertaines que celles qui ont trait aux matières agricoles. Les quelques données que l’on peut recueillir participent beaucoup plus de l’hypothèse que de l’observation ; les raisonnemens s’en ressentent, ainsi que les déductions.

Sans doute, en théorie, les effets du change sont bien ceux que les agriculteurs indiquent. Il resterait à vérifier pourtant quelle importance ils peuvent avoir on pratique, et jusqu’à quel point la monnaie dépréciée conserve, sur le marché intérieur, sa puissance d’achat. Dans tous les cas, le mal, s’il est réel, est général et devient un de ces élémens qui modifient la base des transactions internationales, sans qu’il soit possible d’échapper à son influence. Les produits manufacturiers en subissent aussi bien les conséquences que les denrées agricoles, et si l’on se décidait à en tenir compte, il ne suffirait pas d’augmenter les droits sur les blés, il faudrait en même temps procéder à un relèvement général du tarif, pour maintenir cet équilibre tant souhaité entre les différentes branches de la production nationale.