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Quel résultat a-t-on atteint par ce retour graduel à la protection ?


I

Les agriculteurs se plaignent plus que jamais. La ruine les menace tous, car le prix auquel ils peuvent produire les céréales se trouve aujourd’hui supérieur au cours du marché, et ils ne sauraient persévérer dans une production qui se traduit pour eux par une perte régulière et certaine. De là, nécessité de diminuer au plus vite la superficie des terres cultivées, voire de la limiter au strict minimum. Ils citent l’exemple de l’Angleterre, qui, n’espérant plus lutter contre la concurrence étrangère, a considérablement réduit les surfaces ensemencées et laissé émigrer en Amérique une grande partie de son personnel agricole, assurant ainsi un recrutement supérieur aux hardis pionniers qui ont mis en valeur les vastes contrées du Nouveau Monde. Une semblable détermination serait fatale non seulement aux intérêts propres de notre culture, mais encore à ceux du pays tout entier. La richesse de la France s’en trouverait compromise, car la production agricole est le plus précieux et le plus important de ses élémens. et nous ne nous trouvons pas dans d’aussi favorables conditions que nos voisins pour demander à l’industrie et au commerce la compensation du déficit qui se produirait dans une autre branche de revenus. Puis les Anglais ont une marine puissante, et. presque assurés de triompher sur la mer, il doit leur importer moins qu’à nous de pouvoir tirer de leur sol de quoi se suffire en cas de guerre. Dans l’hypothèse d’un conflit, la France, ne pouvant assurer la nourriture de ses habitans et de ses armées, tomberait rapidement à la merci de ses adversaires, pour peu que la fortune de mer lui fut défavorable, — et voilà le patriotisme lui-même en jeu.

Cédant à ces préoccupations et s’en constituant les interprètes autorisés, un certain nombre de membres du Parlement ont développé cette pensée et recherché les causes du mal. Chacun a proposé son remède.

Le pouvoir d’achat de l’or vis-à-vis d’une autre monnaie ou d’un papier déprécié se trouvant augmenté précisément du montant de cette dépréciation, il est aisé de comprendre, disent-ils, qu’un importateur allant dans l’un de ces pays faire acquisition d’un stock de blé bénéficie, s’il solde en or, d’une diminution équivalente. Cette diminution se transforme ensuite en prime et vient réduire d’autant les droits de douane que le blé doit payera l’entrée. La protection dont on a cru devoir faire bénéficier l’agriculture se trouve ainsi contre-balancée pour partie.