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Nous qui la connaissons et l’aimons malgré tout, nous ne désespérerons pas d’elle. Nous la suivions du bord avec une sympathique curiosité et non, qu’elle le croie bien, avec indifférence, encore moins avec jalousie. Il n’était pas né dans les Gaules, le poète qui a écrit le Suave mari magno. Malheureusement, nous ne pouvons faire plus. L’Italie, revenue, comme elle l’est, au sens des réalités politiques, n’a pas besoin que nous lui disions pourquoi.

Entre elle et nous, on ne le proclamera jamais trop, il n’y a rien, que la Triple Alliance. Mais il y a la Triple Alliance. Nous le savons, l’entrée de l’Italie dans la ligue des puissances centrales est une faute contre elle-même plus encore qu’une faute contre nous. Ce n’est pas nous qui reprocherons à l’Italie d’avoir été, en cette occasion, très machiavélique, elle ne l’a pas été assez. Elle a puérilement cédé aux plus impolitiques de tous les sentimens : à la rancune et à la peur d’imaginaires injures et de périls imaginaires. Nous sommes sûrs que l’Italie, redevenue réaliste dans sa politique, s’étonnera de la chevauchée où l’a entraînée la Chimère, Mais enfin, il n’est pas actuellement en son pouvoir de ne pas avoir perdu, en 1882, le sens des réalités, de l’avoir recouvré en 1887 ou en 1891, et de pas être liée jusqu’en 1898. Elle conviendra seulement que, ce sens précieux, nous le perdrions à notre tour, si nous oubliions que, jusqu’en 1898, l’Italie ne s’appartient pas. Nous ne le perdrions pas moins en lui demandant de sortir avant l’heure d’une alliance où elle n’avait ni raisons d’entrer ni raisons de rester. Nous le savons aussi, ce n’est pas en son pouvoir. Tout ce que nous lui demandons, c’est de s’appliquer à faire que la Triple Alliance soit, pendant les quatre années qui viennent, ce qu’elle a été depuis sa conclusion : une précaution parfaitement inutile.

Pour notre part, et en tant que nous y pouvons quelque chose, nous n’y manquerons pas. Si l’Italie le veut, elle nous retrouvera lorsqu’elle sera libre. Ne précipitons rien ; faisons sérieusement les choses sérieuses. En attendant, abstenons-nous de coups d’épée, de coups d’épingle et de coups de plume. Nous ne devons, pour l’instant, à l’Italie que la justice, mais nous la lui devons. A cet égard, elle ne peut pas regretter, plus que nous le regrettons, le verdict du jury d’Angoulême dans l’affaire du massacre d’Aigues-Mortes. La presse italienne a dit de ce verdict que c’était un verdict politique ; non, ce n’en est pas un : en politique pure, on eût dû condamner, puisqu’on avait un Italien parmi les accusés et que l’on pouvait établir de la sorte le tort des uns comme des autres. Le jury ne l’a pas fait : a-t-il pensé, ce serait l’hypothèse la plus honorable pour lui, qu’il n’avait pas sûrement devant lui les vrais coupables, que le