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publier le plus tôt possible ? M. Zanardelli a un mot malheureux : « J’ai consulté les précédens et je trouve que le plus analogue est celui de l’enquête sur le brigandage. » Hilarité ; applaudissemens sur tous les bancs. M. Imbriani tonne pour la seconde fois : « Imprimer le plus tôt possible ne signifie pas connaître immédiatement le rapport. En attendant, on vote, dans cette Chambre. S’il y a, dans cette Chambre, des condamnés, ils ne doivent pas avoir le droit d’y élever la voix… Nous allons voir s’il n’y a pas aussi quelque ministre ! » M. Nicotera, qui n’est plus ministre, mais qui l’a été dans le cabinet Rudini, saisit la balle au bond : « Tout de suite ! On a dit qu’il y a des ministres compromis. Eh bien ! vous, les ministres, vous devez être les premiers à vouloir la lumière. » M. Giolitti, apostrophé, se décide : « Ce n’est pas une question de parti ni de gouvernement. Je ne parle que comme député, et me rallie à la proposition de M. Imbriani. »

La proposition est adoptée à l’unanimité. On donne lecture du rapport, MU milieu d’un silence tragique, qui n’est interrompu que lorsqu’on arrive à l’argent fourni pour les élections par la Banque romaine, à la saisie des papiers de M. Tanlongo, aux circonstances qui ont environné sa nomination comme sénateur. Alors, M. Colajanni s’écrie : « Voilà mes inventions ! » et M. Imbriani : « Voilà les voix qui sortaient de la prison ! »

Nous avons eu, hélas ! des séances semblables, en de tristes jours que personne n’a oubliés, mais non de plus mouvementées, de plus poignantes. Au nom de deux ministres que mentionne le rapport, sans les blâmer spécialement du reste, l’émotion arrive à son comble. « Vous êtes en état d’accusation ! Malfaiteurs ! Malfaiteurs ! » C’est toujours M. Imbriani qui mène le chœur et avec lui M. de Felice, le socialiste sicilien. Mais ce n’est pas seulement de la Montagne que ces clameurs tombent sur le cabinet, c’est de la droite, de la gauche, du centre, et des tribunes publiques, chargées à s’effondrer. M. Zanardelli sonne vainement : il ne tient plus la Chambre, il ne préside plus la séance, il n’y a plus de séance, plus de Chambre, plus de président. M. Zanardelli se couvre et s’en va. De véritables hurlemens l’accompagnent jusqu’à ce qu’il soit sorti de la salle. Les députés, pour la plupart, ne bougent pas. On crie : « A la présidence, M. Biancheri ! » M. Biancheri sort discrètement. Il n’y a pas eu de scrutin, mais le ministère est foudroyé. A le toucher du doigt, on le réduirait en cendres. D’ailleurs, on n’aura plus à le toucher. M. Giolitti ne retournera à la Chambre que pour annoncer sa démission.