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pas mieux frapper seulement des pièces d’un certain poids 5, 10, 15, 20, etc. grammes d’or, 5, 10, 15, 20, etc. grammes d’argent ? Le Gouvernement n’interviendra que pour certifier le poids et le titre de chaque disque, que son effigie garantira. Il laissera aux particuliers, à l’usage, au commerce, le soin d’établir la valeur relative de ces disques. Les Monnaies par tous les pays du monde seront ouvertes à la libre frappe des deux métaux.

Dans les deux cas, chaque nation devra apprendre à compter séparément en monnaie d’or et en monnaie d’argent.

L’objection à faire à ce système est que la transition entre l’état de choses actuel et celui que créerait cette nouvelle législation semble difficile à trouver. Il faudrait par exemple en France décider si tous les engagemens actuellement contractés en francs devront être réglés à raison de 5 grammes d’argent ou 0, 3225 grammes d’or par franc, ou bien encore dans une certaine proportion par les deux métaux.

S’il s’agissait d’organiser une société sur des bases entièrement neuves, rien ne serait plus facile que de préciser dans chaque engagement, dans chaque vente, la quantité de métal promise, soit en or, soit en argent. Les parlemens en votant les impôts spécifie raient le métal dans lequel ils sont dus.

Une dernière observation doit trouver ici sa place : il est peu probable que nous marchions vers une dépréciation indéfinie de l’argent, les emplois industriels d’une partie de sa production (25 à 30 millions d’onces) lui assurant déjà un débouché et une certaine valeur. D’ailleurs le remède à la baisse est fourni par la baisse elle-même, qui, comme la lance d’Achille, blesse et guérit. A mesure que le prix du métal s’avilit, la production en diminue. La réduction du stock ne sera pas encore sensible en 1893, mais le deviendra en 1894. Beaucoup de mines américaines dans le Colorado, le Montana, le Nevada, l’Arizona, sont fermées ; les paquebots transatlantiques sont remplis d’ouvriers italiens et autres renvoyés de ces districts, lesquels, ne trouvant plus de travail aux États-Unis, reviennent en Europe. Que si quelqu’un était tenté de croire à un avilissement indéterminé de l’argent correspondant à un renchérissement constant de l’or, nous l’engagerions à se reporter à l’histoire monétaire des premières années de la seconde moitié de notre siècle. En 1857 la Belgique, effrayée de l’énorme production d’or de la Californie et de l’Australie, jugea une dépréciation du métal jaune inévitable et le démonétisa. La France faillit, à l’instigation de Michel Chevalier, entrer dans la même voie. Nos voisins vécurent quelque temps sous le régime de l’étalon d’argent. Des pièces d’or françaises traversaient alors la frontière