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emphytéotique, et paient jusque-là au propriétaire une rente, qui est fréquemment stipulée « en un certain nombre de grains d’or ».

C’est là la démonstration la plus saisissante de ce que c’est, en réalité, que la monnaie, à savoir : un certain poids d’un métal donné. S’engager à payer un certain chiffre de dollars dans ces conditions, c’est tout simplement s’engager à livrer au jour de l’échéance un certain nombre d’onces ou de grammes d’or. L’engagement des compagnies de chemin de fer est identique, bien qu’exprimé d’une façon différente, à celui des locataires de terrains. Que la monnaie des États-Unis d’Amérique vienne à changer, que le Congrès démonétise l’or, débaptise l’unité monétaire, établisse le cours forcé des billets de banque, l’engagement ci-dessus n’en demeurera pas moins irrévocable et incommutable : le créancier aura le droit d’exiger exactement ce que son débiteur s’est engagé à lui payer, « un certain nombre de dollars d’or du poids et de la finesse établis par les lois existantes au jour du contrat », ou, en d’autres termes, un certain poids d’or pur.

L’humanité dans son évolution ne simplifie pas toujours les questions. Les dénominations monétaires usitées chez les différens peuples ont obscurci le problème, dont les élémens apparaîtraient beaucoup mieux si, au lieu de parler par exemple de mille francs, nous disions 322 grammes d’or. La comparaison entre les monnaies des divers pays deviendrait alors aisée, et il suffirait que les diverses nations aient adopté la même unité de poids (sur laquelle elles seront moins longues à se mettre d’accord que sur l’unité monétaire) pour que l’un des côtés les plus ardus du problème ait disparu. Que l’on aille en Chine, c’est-à-dire chez l’un des peuples qui ont le mieux compris que la monnaie est un certain poids d’un métal précieux ; que l’on demande à un Chinois si l’obligation contractée par lui de livrer un certain nombre de taels, c’est-à-dire un certain poids d’argent, peut être liquidée en livrant un certain poids d’or, nous serions bien étonné s’il ne répondait pas que ce poids d’or sera variable selon les époques.

Il pourrait sembler étrange à une génération qui a appris à compter en francs d’entendre dire qu’un homme possède 32 kilo grammes d’or au lieu de cent mille francs. Mais si nous voulons réfléchir à ce que signifie l’expression de cent mille francs, que représente-t-elle à notre esprit ? Un pouvoir d’acquérir un certain nombre d’objets qui seraient payés au moyen de cinq mille pièces de vingt francs, ou, pour parler plus simplement, 5 000 pièces de vingt francs. Or ces 5 000 pièces de vingt francs ont été