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que cette nuit du Colorado, au cœur des Montagnes Rocheuses fut pour moi ce que celle de l’Ecole normale avait été pour Jouffroy. Non, nous ne saurions nous contenter de ce que nous avons admis jusqu’à ce jour : si le raisonnement mathématique est impuissant à détruire certaines doctrines, elles n’en sont pas moins insuffisantes, elles n’assurent pas à elles seules, à l’heure actuelle, la marche des sociétés humaines. Il faut donc, sans les renier, chercher à les compléter. Il faut creuser plus profondément le puits d’où la vérité doit sortir. A l’image de ces hardis mineurs qui descendent sous terre et fouillent la roche pour y découvrir le précieux filon, il nous faut sonder l’abîme et lui arracher encore quelques-uns de ses mystères.

« Ce livre est un livre de bonne foi, » disait le grand Montaigne, qui ne pensai ! pouvoir le mieux recommander. Les pages qui sui vent ont été écrites avec la plus entière sincérité, elles sont le fruit de méditations intenses. Je sens fort bien que nous sommes encore loin du but. Peut-être, cependant, mes lecteurs trouveront-ils ici quelques idées nouvelles qui pourront les aider dans leurs recherches et provoquer chez eux des réflexions dans une direction vers laquelle ils n’étaient pas encore orientés.


I

Le grand problème monétaire devient chaque jour plus grave. La violence des évolutions du monde amène une succession tellement rapide des événemens que l’homme le plus attentif, le plus préoccupé du sujet, peut à peine observer d’une façon un peu approfondie les phénomènes essentiels. A plus forte raison lui est-il malaisé de formuler en cette matière les conclusions de la science économique, cette science essentiellement contingente et dont la plus grande difficulté résulte de ce qu’elle dépend de faits sans cesse modifiés et renouvelés. Nous ne songeons ni à en diminuer le mérite ni à en méconnaître la portée. Mais l’absolu n’est point son domaine, et la tâche première consiste à distinguer d’un côté ce qui constitue la partie en quelque sorte mathématique de l’économie politique, c’est-à-dire celle qui peut se formuler en lois presque aussi rigoureuses et certaines que les lois mêmes de l’inflexible géométrie, et de l’autre, celle qui doit jusqu’à nouvel ordre se contenter de généraliser le plus possible les événemens quotidiens de l’histoire de l’humanité.

Si certaines règles de l’échange, de la distribution des richesses, peuvent être considérées comme définitives, il nous