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des gens habiles ? — L’Autriche ayant été amenée à faire des sacrifices qui ont dû beaucoup lui coûter, je croirais naturel de faire en choses, surtout de peu d’importance, ce qui peut lui être agréable. — La Valteline faisait partie de la Suisse, et l’on a promis de la lui rendre. — La Valteline est séparée de la Suisse depuis dix-huit ans ; elle n’a jamais connu le régime sous lequel Votre Majesté voudrait la rappeler. La rendre aux Frisons, auxquels elle appartenait, ce serait la rendre malheureuse. Il me paraîtrait donc convenable d’en faire un canton séparé, si l’Autriche ne l’obtenait pas. — Cela s’arrangera. Et que faites-vous pour le prince Eugène ? — Le prince Eugène est sujet français, et en cette qualité il n’a rien à demander ; mais il est gendre du roi de Bavière ; il l’est devenu par suite de la situation où la France s’est trouvée et de l’influence qu’elle exerçait. Ainsi il est juste que la France cherche à lui faire avoir ce qu’à raison de cette alliance il est raisonnable et possible qu’il obtienne ; nous voulons donc faire quelque chose pour lui ; nous voulons qu’il soit un prince apanagé de la maison de Bavière et que l’on augmente en conséquence le lot du roi dans la distribution des pays encore disponibles. — Pourquoi ne pas lui donner une souveraineté ? — Sire, son mariage avec la princesse de Bavière n’est pas un motif suffisant. Le prince Radziwill est beau-frère du roi de Prusse et n’a point de souveraineté. — Mais pourquoi ne pas lui donner Deux-Ponts, par exemple, c’est peu de chose ? — Je demande pardon à Votre Majesté, le duché de Deux-Ponts a toujours été regardé comme quelque chose de considérable, et d’ailleurs ce qui reste encore de disponible suffit à peine pour remplir les engagemens qui ont été pris. — Et le mariage ? — Le Roi m’a fait l’honneur de me mander qu’il le désirait toujours vivement. — Et moi aussi, a dit l’empereur ; ma mère le désire pareillement ; elle m’en parle dans ses dernières lettres. — Le Roi, ai-je dit, attendant une réponse de Votre Majesté, a refusé d’autres propositions qui lui ont été faites. — J’en ai aussi refusé une, mais j’ai été en même temps refusé. Le roi d’Espagne m’a fait demander ma sœur ; mais prévenu qu’elle devrait avoir avec elle sa chapelle, et que c’était là une condition nécessaire, il a rétracté sa demande. — Par la conduite du Roi Catholique, Votre Majesté voit à quoi est obligé le Roi Très-Chrétien. — Je voudrais savoir à quoi m’en tenir. — Sire, les derniers ordres que j’ai reçus sont conformes à ce qui a été dit à Votre Majesté par M. le général Pozzo. — Pourquoi n’exécutez-vous pas le traité du 11 avril[1] ? — Absent de Paris depuis cinq mois, j’ignore ce qui a été fait à cet égard. — Le traité n’est pas exécuté ; nous devons en réclamer l’exécution ; c’est pour nous une affaire d’honneur ; nous ne saurions en aucune façon nous en départir. L’empereur d’Autriche n’y tient pas moins que moi, et soyez sûr qu’il est blessé de ce qu’on ne l’exécute pas. — Sire, je rendrai compte de ce que vous me faites l’honneur de me dire ; mais je dois observer que dans l’état de mouvement où se trouvent les pays qui avoisinent la France et particulièrement l’Italie, il peut y avoir du danger à fournir des moyens d’intrigue aux personnes que l’on doit croire disposées à en former. »

Enfin, nous sommes revenus à Murat. J’ai rappelé brièvement toutes les raisons de droit, de morale et de bienséance qui doivent unir l’Europe contre lui. J’ai distingué sa position de celle de Bernadotte, qui touche particulièrement l’empereur ; et, à l’appui de ce que j’ai dit, j’ai cité l’Almanach royal que je venais de recevoir. Il m’a prié de le lui envoyer, en ajoutant : « Ce

  1. C’est celui de Fontainebleau, conclu avec Napoléon. Les sommes stipulées pour lui et sa famille n’étaient pas payées.