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en Italie si cela est nécessaire. » Ils m’ont dit, chacun séparément, que cette déclaration avait jeté M. de Metternich dans un grand abattement. Ce sont leurs termes, et Votre Majesté comprendra mieux que M. de Metternich ait été abattu lorsqu’elle aura lu les articles secrets du traité qu’il a fait avec Murat, et dont j’ai l’honneur de joindre ici une copie. Qu’il lui ait garanti le royaume de Naples dans telles circonstances données, cela se conçoit : mais qu’il ait porté l’avilissement au point de laisser insérer dans ce traité une clause par laquelle Murat a la générosité de renoncer à ses droits sur le royaume de Sicile et de garantir ce royaume à Ferdinand IV, c’est une chose qui paraît incroyable, alors même qu’elle est prouvée.

Votre Majesté n’apprendra peut-être pas sans quelque surprise que l’attachement au principe de légitimité n’entre que pour très peu dans les dispositions de lord Castlereagh et même du duc de Wellington à l’égard de Murat. C’est un principe qui ne les touche que faiblement et que même ils ne paraissent pas très bien comprendre. C’est l’homme qu’ils détestent dans Murat beaucoup plus que l’usurpateur. Les principes suivis par les Anglais dans l’Inde les éloignent de toute idée exacte sur la légitimité. Rien n’a fait autant d’impression sur lord Castlereagh, qui veut avant tout, la paix, que la déclaration que je lui ai faite que la paix serait impossible si Murat n’était pas expulsé, attendu que son existence sur le trône de Naples était incompatible avec l’existence de la maison de Bourbon.

J’ai vu aussi l’empereur de Russie. C’était lundi matin, 13 de ce mois. Je ne voulais lui parler que de Naples et lui rappeler les promesses qu’il m’avait faites à ce sujet ; mais il en prit occasion de me parler de beaucoup d’autres choses dont je dois rendre compte à Votre Majesté. Je la prie de permettre que j’emploie pour cela, comme je l’ai fait dans plusieurs autres lettres, la forme du dialogue.


J’avais débuté par dire à l’empereur que depuis longtemps je m’étais abstenu de l’importuner, par respect pour ses affaires et même pour ses plaisirs ; que, le carnaval ayant mis fin aux uns et que les autres étant arrangées, j’avais désiré de le voir. J’ajoutai que le congrès même n’avait plus à régler qu’une affaire de première importance. « Vous voulez parler de l’affaire de Naples ? — Oui, Sire ; et je lui rappelai qu’il m’avait promis son appui. — Mais il faut m’aider. — Nous l’avons fait autant qu’il a dépendu de nous. Votre Majesté sait que n’ayant pas pu penser au rétablissement complet du royaume de Pologne, nous n’avons point été pour ses arrangemens particuliers, contraires à ses vues, et elle n’a sûrement pas oublié que les Anglais étaient, au commencement du congrès, assez mal disposés dans cette question. — Dans les affaires de la Suisse ? — Je ne sache pas que dans les affaires de la Suisse nous ayons jamais été en opposition avec Votre Majesté. Il nous était prescrit d’employer tous nos efforts à calmer les passions ; je ne sais jusqu’à quel point nous avons réussi, mais nous n’avons tendu qu’à cela. Les Rémois étaient les plus aigris ; c’étaient ceux qui avaient le plus perdu ; ils avaient le plus à réclamer. On leur a offert une indemnité qu’ils tenaient pour bien insuffisante ; nous les avons portés à s’en contenter. Je sais seulement qu’ils demandent l’évêché de Bâle en entier et qu’ils sont décidés à ne pas accepter moins. — Et que ferez-vous pour Genève ? — Rien, Sire. — Ah ! (Du ton de la surprise et du reproche.) Il ne nous est pas possible de rien faire : le Roi ne cédera jamais des Français.— Et ne peut-on rien obtenir de la Sardaigne ? — Je l’ignore entièrement. — Pourquoi cédez-vous la Valteline à l’Autriche ? — Rien, Sire, à cet égard n’est décidé ; les affaires de l’Autriche ayant été mal conduites… — C’est sa faute, dit l’empereur, que ne prend-elle