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Italie un établissement aussi important. Elle était déjà parvenue à expulser cette maison de la Toscane, en faisant mettre presque au néant les droits de la reine d’Etrurie, en la réduisant à la petite principauté de Lucques. Elle allait établir à Parme l’archiduchesse Marie-Louise, l’épouse de Napoléon. Il lui aurait donc merveilleusement convenu de laisser à l’extrémité de la flotte une puissance éphémère que le moindre événement pouvait renverser peut-être à son profit. Pour donner une juste idée des difficultés de cette affaire, le mieux doit être d’emprunter les propres paroles de M. de Talleyrand. Voici le récit qu’il faisait, le 15 février, au moment du départ de lord Castlereagh, de tout ce qu’il avait tenté pour la faire réussir et des secours qui lui avaient été prêtés par lord Castlereagh et par le duc de Wellington. Ce récit contient des détails fort piquans et instructifs sur d’autres points, entre autres sur la rupture formelle des négociations pour le mariage du duc de Berry.


J’ai employé, dit M. de Talleyrand. les huit ou dix derniers jours à échauffer lord Castlereagh sur cette question, et si je ne l’ai point amené à prendre de lui-même un parti, ce qu’il ne se croit pas libre de faire, je l’ai amené à désirer presque aussi vivement que nous l’expulsion de Murat ; et il part avec la résolution de tout mettre en œuvre pour déterminer son gouvernement à y concourir. Deux choses l’embarrassent : l’une, de savoir comment se déclarer contre Murat, sans paraître violer les promesses qu’on lui a faites (voilà ce que lord Castlereagh appelle ne pas compromettre son caractère) : l’autre, de déterminer les moyens d’exécution de manière à assurer le succès, en cas de résistance, sans compromettre les intérêts ou blesser les préjugés, et sans exciter les craintes de personne. Il m’a promis que, le troisième jour après son arrivée à Londres, il expédierait un courrier porteur de la détermination de sa Cour ; et, plein de toutes nos raisons, il espère qu’elle sera favorable. Ce que je désire, c’est que, sans entrer dans des discussions qui toutes affaiblissent l’objet principal, lord Wellington soit autorisé à déclarer que sa Cour reconnaît Ferdinand IV comme roi des Deux-Siciles. C’est dans ce sens que je supplie Votre Majesté de vouloir bien lui parler à Paris[1]. Dans les derniers temps de son séjour à Vienne, lord Castlereagh s’est très obligeamment prêté aux démarches que je l’ai prié de faire. Il a parlé contre Murat à l’empereur de Russie, qu’il a vu avec le duc de Wellington. Il a dit à l’empereur d’Autriche : « La Russie est votre ennemie naturelle ; la Prusse est dévouée à la Russie. Vous ne pouvez avoir sur le continent de puissance sur laquelle vous puissiez compter que la France. Votre intérêt est donc, d’être bien avec la maison de Bourbon, et vous ne pouvez être bien avec elle sans que Murat soit expulsé. » L’empereur d’Autriche a répondu : « Je sens bien la vérité de tout ce que vous me dites. » Enfin, à M. de Metternich, chez lequel lord Wellington et lui sont allés ensemble, il a dit : « Vous aurez pour l’affaire de Naples une discussion très forte ; ne pensez pas pouvoir l’éluder. Cette affaire sera portée au congrès, je vous en préviens. Prenez donc vos mesures en conséquence, faites passer des troupes

  1. Il devait, en retournant à Londres, passer par cette ville, et M. de Talleyrand avait fort prié le roi de le traiter avec de grandes marques de bienveillance.