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prévisions, ses suppositions, présentées avec un art infini, étaient démenties par le passé ou devaient l’être par les événemens dans un court délai. Comment M. de Talleyrand pouvait-il écrire à Louis XVIII, au mois de janvier 1815, cette phrase : « Maintenant que la coalition est dissoute, que la France n’a plus besoin de compter sur des secours étrangers, que c’est d’elle au contraire que les autres puissances en attendent ! » Le succès fut complet, il devait l’être ; M. de Talleyrand fut autorisé à transmettre à l’empereur Alexandre un refus positif.

Mais la principale affaire pour le cabinet de France, celle qui lui importait le plus, n’était point encore formellement tranchée par le parti adopté relativement à la Saxe. Il lui restait beaucoup à faire pour obtenir l’expulsion du roi Murat. M. de Talleyrand avait fort prudemment séparé la question qui le concernait de celle touchant la Suède ; il avait su faire comprendre aux Tuileries qu’il ne fallait pas compromettre le succès de la prétention la plus favorable en la mêlant avec celle qui l’était beaucoup moins. On a vu comment il se flattait d’avoir acquis des droits à la complaisance de l’Autriche, et cependant il ne trouva pas M. de Metternich aussi facile qu’il l’avait supposé ; il lui fallut dès lors employer toute son adresse à s’appuyer de l’assentiment de l’Angleterre. Elle devait bien un peu d’appui à un souverain qui demandait à se relever des pertes que lui avait seule attirées sa fidélité aux engagemens contractés avec elle. Lord Castlereagh était à cette époque, de tous les ministres siégeant au congrès, celui avec lequel M. de Talleyrand s’entendait le mieux. Il n’avait pas trop repoussé l’idée d’un article de traité à peu près conçu dans les termes suivans :


L’Europe réunie en congrès reconnaît Sa Majesté Ferdinand IV comme roi de Naples ; toutes les puissances s’engagent mutuellement à n’appuyer ni directement ni indirectement aucune prétention opposée à ses droits. Mais les troupes (ceci était un égard pour les engagemens pris par l’Autriche et qu’on ne connaissait pas encore), que les puissances étrangères à l’Italie et alliées de la susdite Majesté pourront mettre en marche pour le soutien de sa cause, ne pourront traverser l’Italie.


III

M. de Talleyrand était-il désintéressé dans les efforts qu’il a faits, dans le zèle qu’il a déployé pour la reconstitution de la Saxe comme pour ramener le roi Ferdinand IV à Naples ? On a beaucoup affirmé le contraire. Toujours est-il qu’il déploya toutes les ressources de son esprit pour obtenir le succès de cette seconde négociation, comme dans la première.