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à Paris, il en avait parlé plusieurs fois à M. de Talleyrand, qui s’y était alors montré très favorable. Il avait été jusqu’à charger le duc de Richelieu d’en faire la proposition formelle au roi.

Le roi, sans s’engager positivement, avait dû répondre d’une manière obligeante ; mais il s’était servi, pour écarter la nécessité d’une décision précise, du prétexte que cette affaire devait se traiter avec toutes celles qui se discuteraient à Vienne. Le moment était arrivé où il fallait se décider. M. de Talleyrand, conséquent cette fois avec le système politique dans lequel il s’était engagé, parfaitement assuré d’ailleurs de plaire au roi en lui fournissant des raisons ou des excuses à l’appui du refus qu’il ré servait, n’hésita pas à lui écrire le 25 janvier la lettre suivante. La version que j’en donne, je la puis garantir. Il est facile, en la lisant, de se faire une idée de tout ce qui a dû la précéder. Beaucoup de pourparlers avaient eu lieu ; la correspondance sur ce sujet avait été fort active. M. de Talleyrand, avant son départ. s’était assuré des sentimens du roi et de la famille royale.


SIRE,

Le général Pozzo di Borgo paraît devoir partir cette semaine pour retourner à Paris. Il aura probablement reçu de l’empereur Alexandre des ordres relatifs au mariage. Je crois devoir soumettre aujourd’hui à Votre Majesté quelques réflexions sur une matière aussi délicate et aussi grave sous tant de rapports.

Votre Majesté veut, et a toute raison de vouloir, que la princesse, quelle qu’elle soit, à qui M. le duc de Berry donnera sa main, n’arrive en France que princesse catholique. Votre Majesté fait de cette condition et, ne saurait même se dispenser d’en faire une condition absolue. Roi très chrétien et fils aîné de l’Église, elle ne peut point porter à cet égard la condescendance plus loin que Bonaparte lui-même ne s’était montré disposé à le faire, lorsqu’il demanda la grande-duchesse Anne. Si cette condition était acceptée par l’empereur Alexandre, Votre Majesté, en supposant qu’elle ait engagé sa parole, ne se croirait sûrement pas libre de la retirer ; mais il paraît que l’empereur, sans vouloir s’opposer à ce que sa sœur change de religion, ne veut pas qu’on puisse lui imputer, à lui, d’avoir donné les mains à ce changement, comme on aurait lieu de le faire s’il avait été stipulé. Il veut qu’il puisse être regardé comme l’effet d’une détermination de la princesse elle seule, lorsqu’elle aura passé sous d’autres lois, et qu’en conséquence ce changement suive le mariage et ne le précède pas ; il tient donc à ce que sa sœur aille on France avec sa chapelle, consentant toutefois à ce que le pope qui la suivra porte un habit laïque. Les raisons qui l’y l’ont tenir sont ses propres scrupules, vu rattachement qu’il a pour sa croyance, et la crainte de blesser l’opinion de ses peuples dans un point aussi délicat. Ku persistant. dans ces dispositions, il déliera lui-même Votre Majesté de tout engagement qu’elle ait pu prendre et lui fournira les moyens de se délier, s’il diffère de consentir à la condition qu’elle a mise au mariage ; or, je ne craindrais pas d’avouer à Votre Majesté que tout ce qui peut tendre à la délier à cet égard me semble très désirable.