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consentement explicite de toutes les autres. La nécessité avouée d’une si grande réunion de forces et les termes du préambule de ce traité montrent suffisamment que l’alliance est dirigée contre la Russie et subsidiairement contre la Prusse. La puissance attaquée dans les circonstances posées ne peut-être aussi que l’Autriche. Ainsi l’alliance est spécialement conçue dans son intérêt.

Voilà donc la France qui s’unit avec ses deux ennemis naturels, car son histoire est là pour attester que l’Angleterre et l’Autriche l’ont été presque constamment ; et contre qui formera-t-elle cette union ? Contre les deux États dont elle n’a personnellement rien à craindre, avec lesquels elle n’a aucun point de contact, dont il lui serait facile de se faire des alliés très solides, puis que aucun intérêt opposé n’existe entre elle et eux. Mais ce qui est peut-être plus remarquable encore, voilà la maison de Bourbon qui, au bout de neuf mois de restauration, entre dans une ligue contre le souverain qui a le plus contribué à la relever, en a eu la première pensée, qui y a seul persévéré dans les momens les plus critiques, et cette ligue est formée en faveur de la puissance qui lui a été le plus persévéramment contraire, qui jusqu’au dernier moment a voulu maintenir la couronne sur la tête de Napoléon, époux d’une archiduchesse d’Autriche !

Si la politique avait exigé un tel sacrifice, si l’intérêt de l’État l’avait impérieusement commandé, il faudrait plaindre la condition du prince qui s’est vu réduit à une telle nécessité ; mais si cette nécessité n’existait pas, que penser des intrigues qui l’ont amené à la subir ? Eh bien ! s’il y a une vérité évidente pour moi, c’est que ce traité du 3 janvier, que M. de Talleyrand se vante d’avoir inspiré, ne servait à rien, et qu’il a été l’œuvre d’une politique plus habile que celle du plénipotentiaire français, Je dis qu’il ne devait servir à rien, car l’Angleterre et l’Autriche savaient très bien qu’elles n’auraient pas la guerre avec la Russie, elles étaient décidées à ne pas l’avoir. J’en donnerai la preuve tout à l’heure ; mais ce qu’elles voulaient, c’était d’amener la France à une complète rupture avec la Russie ; une fois engagée dans cette voie, chaque démarche devait contribuer à ce résultat et rendre tout rapprochement impossible entre le cabinet de Paris et celui de Saint-Pétersbourg.

Qui pouvait douter, en effet, que, malgré le secret juré, il ne dût toujours être facile, du moment où on le jugerait à propos, défaire arriver le traité du 3 janvier à la connaissance de l’empereur Alexandre ? Cette vue était sans doute très machiavélique, mais elle était juste et profonde, car l’Angleterre et l’Autriche n’avaient rien tant à redouter que l’union de la France et de la