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faisaient le sujet de la controverse, c’est sur celui qu’il a adopté que vont se porter mes observations.

Toutes les difficultés se rattachaient à la nouvelle organisation qu’on allait donner à la Prusse. Tout le monde reconnaissait qu’il était nécessaire de lui assurer une force intrinsèque qui fut en proportion avec celle qu’acquerraient les alliés dont elle avait partagé les efforts dans la dernière lutte, Elle avait tant souffert dans le terrible conflit où l’Europe s’était vue engagée avec Napoléon, elle avait montré tant d’énergie dans la dernière crise, elle avait fait enfin tant de sacrifices de tous genres, qu’il semblait juste de la dédommager largement. Il y avait trois manières d’arriver à ce résultat. On le pouvait obtenir en lui rendant une partie de la Pologne, en reportant sa frontière jusqu’à la Vistule, ou en l’étendant beaucoup en Allemagne jusqu’aux deux rives du Rhin ; ou en concentrant davantage ses possessions. Pour cela il fallait lui donner la Saxe tout entière. Dans cette hypothèse on lui accorderait peu de territoire en Pologne et du côté du Rhin. L’agrandir du côté de la Vistule, c’était le vœu de l’Autriche et de l’Angleterre ; mais la Russie était loin d’accéder à ce plan, et se montrait décidée à garder à peu près tout ce qui avait composé le grand-duché de Varsovie.

L’empereur Alexandre avait bien été tenté un moment de se donner la gloire de ressusciter le royaume de Pologne et de le rendre, indépendant, après en avoir été le législateur ; il paraît même que cette idée était entrée assez avant dans son esprit ; mais elle en fut écartée par ses conseillers les plus éclairés et entre autres par M. de Pozzo. Ils lui représentèrent que jamais ses sujets russes ne lui pardonneraient d’avoir ainsi abandonné les conquêtes, les agrandissemens que ses prédécesseurs, et surtout la grande Catherine, avaient mis tant de soin à obtenir et qui avaient coûté tant de travaux et de sang. Lu Russie comme dans tous les États despotiques, il y a de certains mécontentemens que les souverains ne peuvent pas affronter.

Restait donc, pour la Prusse, la ressource de s’agrandir de toute la Saxe ou de se reporter sur les provinces rhénanes. Elle préférait de beaucoup obtenir la Saxe ; elle en lit la demande formelle dans une note qu’elle adressa le 9 octobre à M. de Metternich, et le 10 à lord Castlereagh. Elle avait raison de tenir à cette acquisition qui devait lier toutes ses autres possessions et leur assurer, en les appuyant d’une part sur la mer, de l’autre sur la Bohème, une excellente position militaire. Mais c’était cela précisément que l’Autriche ne pouvait voir sans un vif déplaisir. Elle ne se souciait nullement d’avoir pour voisin immédiat, sur une de ses plus importantes frontières, la plus