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LES JUIFS SOUS LA DOMINATION ROMAINE.

dres qu’il donnait. Le fanatisme, cependant, comprit qu’un grand poids allait cesser de peser sur lui. À la nouvelle de sa fin prochaine, deux docteurs très connus, et qu’entourait une nombreuse jeunesse, Judas fils de Sariphée et Matthias fils de Margaloth, poussèrent leurs élèves à purifier la ville des scolies païennes qu’Hérode y avait introduites. Ils montaient surtout les esprits à propos d’un aigle d’or que, sans doute pour quelque fête romaine, on avait appliqué en guise de trophée sur la porte principale du temple. Les deux docteurs ordonnèrent à leurs élèves d’aller abattre cet aigle, même au péril de leur vie. En plein jour, les jeunes fanatiques y coururent et mirent l’aigle en pièces. On arrêta les deux docteurs et une quarantaine d’exaltés. C’était la mort qu’ils voulaient. Conduits devant le roi, ils réclamèrent en quelque sorte ce qu’ils avaient mérité. Hérode rassembla les notables de la nation au théâtre et s’y fit porter en litière. Il fut menaçant, tous tremblèrent. L’assemblée demanda le supplice des coupables. Les chefs furent brûlés vifs ; le grand prêtre Matthias fils de Théophile, qui avait pactisé avec l’émeute, fut remplacé par son beau-frère, Joazar fils de Boëthus.

La maladie du roi faisait des progrès effrayans. On le transporta aux eaux de Callirhoé, près de Machéro ; on lui fit prendre des bains d’huile chaude ; il faillit mourir. On le ramena à son palais de Jéricho. Il fit répandre de fortes largesses parmi les soldats. Dans son délire[1], il ne parlait que des moyens atroces par lesquels on pourrait amener les Juifs à être tristes le jour de sa mort ; il rêvait de massacres ; il cherchait à se tuer. Un moment le palais se remplit de hurlemens. Antipater, de sa prison, entendit ces cris, crut son père mort, et voulut persuader aux geôliers de le laisser sortir. Le chef des geôliers resta incorruptible et transmit au vieux roi la proposition que lui avait faite Antipater. La rage du mourant n’eut plus de bornes. Se dressant sur son coude, il ordonna de tuer son fils et de l’enterrer sans pompe à Hyrcanie. Auguste, que cette triste histoire avait fort ennuyé, dit en apprenant ce meurtre : « Voilà un homme dont il vaut mieux être le porc que le fils[2]. »

Hérode vécut cinq jours après le meurtre d’Antipater. Pendant ce temps, il trouva moyen de changer encore une fois de testament. Archélaüs reçut la Judée et la couronne royale ; Antipas

  1. On ne peut prendre au sérieux ce que raconte Josèphe, Ant., XVII, VI, 5 ; IX, 2 ; B. J., I, XXXIII, 6, 8. Peut-être y eut-il des otages renfermés dans l’hippodrome de Jéricho, qu’on relâcha après la mort du tyran. Le même conte se lit dans le Talmud, attribué à Jannée. Derenbourg, Palestine, p. 163-164.
  2. Macrobe, Saturn., II, ch. IV.