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n’est pas difficile ici à découvrir : évidemment c’est Juba, c’est sa femme, la charmante Egyptienne, qui les y avaient réunies. Ils voulaient transporter les arts de la Grèce, dont ils étaient épris, dans leur capitale improvisée. À cette époque, les artistes grecs n’inventaient plus guère de types nouveaux ; ils semblaient avoir perdu le don de créer, mais ils possédaient toujours une grande habileté de main et savaient reproduire agréablement les chefs-d’œuvre antiques. Les commandes ne leur manquaient pas, et ils ne cessaient de produire, d’après des modèles connus, ces Bacchus couronnés de pampres, ces Hercules massifs, surtout ces satyres au rire moqueur, que les amateurs se disputaient et dont tous les musées de l’Europe sont garnis. Il y en avait à Césarée comme ailleurs ; mais on y a trouvé aussi des ouvrages plus distingués et qui font grand honneur aux artistes qu’employait le roi de Maurétanie. Telle est cette Vénus dont M. Monceaux nous dit que « par son élégance plastique elle soutient la comparaison avec la Vénus de Médicis[1] ; » telle aussi cette Artémis malheureusement mutilée et dont la tête manque, mais qui « par la simplicité et la noblesse du maintien, par l’exquise légèreté des draperies, paraît digne du ciseau d’un maître grec. » Le musée de Cherchel contient des œuvres d’un caractère très varié, qui nous montrent que Juba se piquait de n’avoir pas le goût exclusif. A côté d’une cariatide de l’Erechteion, on y voit un torse qui semble appartenir à l’école de Lysippe, et un peu plus loin des figures de suppliantes empreintes d’une douleur expressive et un peu théâtrale, qui rappelle les procédés des artistes de Pergame. S’il est vrai, comme le pensait Beulé, que le marbre dans lequel les statues de Cherchel sont taillées vient des carrières de l’Afrique, il faut admettre qu’elles ont été exécutées à Césarée même, par des sculpteurs que le roi faisait venir à grands frais de la Grèce. Il avait donc auprès de lui, en même temps que des lettrés, pour l’aider à composer ses livres, des architectes pour lui bâtir des palais, des temples, des thermes, des théâtres, et des sculpteurs pour les décorer. N’est-il pas singulier qu’à un moment la cour d’un petit prince berbère ait paru continuer celle des successeurs d’Alexandre, et qu’au pied de l’Atlas, une ville africaine se soit donné des airs de Pergame, d’Antioche ou d’Alexandrie ?

Mais cette prospérité ne devait pas être de longue durée. Le successeur de Juba II, Ptolémée, à qui son père laissa le trône, après un règne de cinquante ans, fut, pour son malheur, appelé à

  1. Voyez l’article de M. Paul Monceaux sur les statues de Cherchel, dans la Gazette archéologique de 1886. La Vénus de Cherchel est maintenant au musée d’Alger.