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qui lui arrivent de toutes les tribus voisines. Les réguliers le suivent fidèlement partout, et dans toutes ses fortunes ; les autres, au moindre accident, se dispersent : ils se précipitent sur l’ennemi comme une nuée d’orage, mais, le premier élan fourni, s’ils n’ont pas enfoncé les lignes opposées, ils s’en vont plus vite qu’ils ne sont venus, et laissent leur chef se tirer d’affaire comme il peut. Tout cela n’a guère changé ; et l’armée romaine, comme ses revers et ses succès rappellent l’histoire de notre armée ! Au début, elle ne connaît ni l’ennemi qu’elle combat, ni le pays qu’elle veut soumettre. Elle tente en plein hiver d’enlever Suthul de vive force, comme nous l’avons fait à la première expédition de Constantine. Elle se laisse surprendre par ces cavaliers indomptables qui l’attendent à tous les passages difficiles, cachés derrière les touffes d’oliviers ou les baies de cactus. Comment n’être pas déconcertés par ces alertes imprévues ? Ils attaquent sans qu’on les ait vus venir ; ils sont partis avant qu’on se soit mis en défense ; et comme ils ont des chevaux infatigables qui gravissent au galop les pentes les plus escarpées, il est impossible de les poursuivre. Heureusement on se décide, — un peu tard, — à envoyer contre le roi numide un homme de sens et d’expérience, Métellus, qui comprend qu’il faut donner à ses soldats d’autres habitudes. Il leur apprend, quand les cavaliers ennemis approchent, à se former rapidement en cercle (orbes facere, nous dirions aujourd’hui en bataillon carré), et à les recevoir sur la pointe de leurs piques. Il renonce à ces grandes expéditions qui ne mènent à rien, même quand elles réussissent, et les remplace par des attaques hardies, des razzias, comme nous les appelons, où il renverse les gourbis, brûle les récoltes, emmène les troupeaux. La lourde légion romaine, si prudente, si mesurée dans ses mouvemens, si fidèle à ses vieilles tactiques, il la rend souple et mobile. Il habitue le soldat à faire des marches forcées de nuit, dans le désert, emportant avec ses armes des outres pleines d’eau, et à paraître à l’improviste devant des villes comme Thalla et Capsa, qui se croyaient suffisamment défendues par la solitude et la soif. Tout cela nous l’avons vu, nous l’avons fait, nous aussi. On peut regretter de ne pas trouver plus souvent, dans le livre de Salluste, de ces peintures pénétrantes qui, d’un mot, donnent l’impression d’un pays et mettent sous les yeux l’image ineffaçable d’un peuple ; mais, par ses descriptions nettes et sobres, il nous apprend que les choses ne sont pas changées, que l’ennemi est le même, et que, pour le vaincre et le gouverner, on a toujours procédé de la même façon.