Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cavaliers qui l’accompagnaient, deux se noyèrent ; les deux autres eurent grand’peine à le sauver, le cachèrent dans les herbes du rivage, puis dans une grotte voisine, où ils le soignèrent comme ils purent. Dès qu’il fut en état de se tenir à cheval, il repartit, et en quelques semaines, parmi les cavaliers de l’Aurès et les nomades du désert, il avait recruté une autre armée. C’est ainsi qu’à force de courage et d’obstination, il se maintint jusqu’à l’arrivée de Scipion en Afrique. Dès qu’il le sut débarqué à Utique, il alla le rejoindre, et contribua beaucoup à ses succès. En récompense, Scipion lui donna les États de Syphax, qui s’ajoutèrent aux siens. Il y eut donc, dans la Numidie un grand royaume, dont Cirta fut la capitale.

Cirta existe encore sous le nom de Constantine que lui a donné la flatterie, et qu’elle a gardé. Sa situation répond tout à fait à l’idée que Salluste nous donne des villes berbères. Voilà bien la montagne élevée, inaccessible, que ces petits rois choisissaient pour y mettre leurs trésors et leur vie à l’abri d’un coup de main. Le mamelon sur lequel elle est bâtie forme une sorte de presqu’île qui ne se rattache que par une langue de terre au reste du pays ; de tous les autres côtés elle est inabordable. Vers le Nord, un escarpement abrupt la protège : à l’Est et au Sud, elle est entourée par le Roumel ; il coule au fond d’un gouffre étroit, déchirement profond qui s’est formé à la suite de quelque cataclysme inconnu, et qui atteint jusqu’à 170 mètres de hauteur. Le long de ces deux grandes parois verticales, où la roche noire et luisante est égayée par momens d’un peu de verdure, on voit voler, quand on regarde d’en haut, de grands oiseaux de proie, dont le cri strident se mêle d’une manière sinistre au bruit du Roumel. Le torrent tantôt disparaît sous des voûtes naturelles, tantôt bondit de rochers en rochers et blanchit d’écume, jusqu’à ce qu’il sorte de cette fente qui le resserre et l’étreint. Arrivé dans la plaine, il prend un aspect différent. Son cours devient plus large et plus calme ; le torrent de tout à l’heure se change en un fleuve qui coule pacifiquement entre des orangers et des grenadiers. Constantine n’est donc abordable que d’un seul côté : aussi est-ce par là qu’elle a été attaquée de tout temps ; mais de ce côté même elle n’était pas facile à prendre. Dans ces dernières années, où l’on a beaucoup bâti et démoli, l’amoncellement des décombres a rendu les accès plus aisés. Figurons-nous bien que, dans l’antiquité, les pentes étaient plus abruptes, et même après qu’on les avait franchies, quand le rempart était escaladé et qu’on était dans la place, tout n’était pas fini : il fallait emporter chaque rue, prendre chaque maison l’une après l’autre. La ville berbère