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Que devons-nous donc retenir du récit d’Hiempsal, si complaisamment reproduit par Salluste ? Une seule chose, c’est qu’on s’était aperçu déjà, dans l’antiquité, de la diversité d’aspect que présentaient les indigènes de l’Afrique, puisqu’on avait éprouvé le besoin de leur attribuer des origines différentes. Rien n’est plus visible aujourd’hui que cette diversité quand on parcourt l’Algérie. Je me rappelle combien j’en fus frappé, un jour que j’assistais à un grand marché, qui se tenait à Souk-Arrhas, sur la place de la petite ville, où nous avons élevé une halle en fer. Les indigènes débouchaient de tous les côtés. Il en venait à pied, à cheval, sur des ânes et sur des chameaux. C’était un plaisir de les voir se chercher dans cette foule, se reconnaître, se serrer la main, s’embrasser avec des cris de joie, il y avait là des gens de toutes les tailles, de toutes les formes, de toutes les couleurs. Depuis le noir luisant des nègres soudaniens, jusqu’au blanc mat de l’Arabe des grandes tentes, on passait par toutes les nuances que peut revêtir la peau humaine. Mais ce qui m’étonnait surtout, pendant que je regardais cette foule, c’était d’y rencontrer, sous la chéchia, tant de bonnes figures que je croyais reconnaître. J’y remarquais à tous les pas de petits hommes trapus, aux yeux bleus, aux cheveux blonds ou rouges, à la face large, à la bouche rieuse, qui ressemblaient tout à fait aux habitans de nos villages. « Prenez une djemâa kabyle en séance, dit M. de La Blanchère ; ôtez les burnous, revêtez tout ce monde de blouses bleues et d’habits de drap, et vous aurez un conseil municipal, où siègent des paysans français. » Il faut avouer que ce type blond, qui est si commun en Algérie[1], forme un contraste parfait avec toutes les variétés de bruns et de nègres, parmi lesquels on le rencontre. Aussi la première idée qui vienne à l’esprit, quand on veut se rendre compte de ces différences, c’est d’imaginer que des gens qui se ressemblent si peu doivent provenir de races diverses, et qu’on n’a pas devant les yeux un seul peuple, mais plusieurs. C’était évidemment l’opinion des anciens, et ce que voulait dire le roi Hiempsal dans le passage cité par Salluste.

Et pourtant cette opinion se heurte à une objection grave. Longtemps nous avions cru que les indigènes ne parlaient que l’arabe, et c’est seulement de cette langue que nous nous servions pour communiquer avec eux ; mais quand nous les avons mieux connus, quand nous avons fréquenté ceux qui conservent leur caractère original et sont moins mêlés d’élémens étrangers, nous avons remarqué que dans leurs relations familières ils en

  1. Il ne l’est pas moins au Maroc, où, selon Tissot, il formerait plus du tiers de la population totale.