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une garantie de moralité, — peut aisément devenir un instrument d’immoralité transcendante ; et cela s’est vu quelquefois. J’aime encore assez que, dans sa conclusion, M. Payot, très discrètement, ait effleuré « la question sociale, » pour montrer en quelques mots qu’elle était surtout « une question morale ». « Dans notre siècle, dit-il, nous avons porté tous nos efforts sur la conquête du monde extérieur. Nous n’avons fait ainsi que doubler nos convoitises, qu’exagérer nos désirs, et, en définitive, nous sommes plus inquiets, plus troublés, plus malheureux qu’auparavant. C’est que ces conquêtes extérieures ont détourné notre attention des améliorations intérieures. Nous avons laissé de côté l’œuvre essentielle, l’éducation de notre volonté. » C’est ce qu’on ne saurait trop redire, et, ceci, j’entends bien que c’est ce que nous pensons tous. Mais il m’arrive quelquefois de songer que les choses les plus sues de tous ont le plus besoin d’être répétées ! et pour cette raison, je ne pardonne pas seulement à M. Payot de l’avoir cru comme moi, mais je l’en félicite. Il y a d’ailleurs, après cela, plus d’un paradoxe dans son livre, et je ne puis m’associer à tout le mal qu’il dit de la mémoire, ni lui accorder que la Marianne de Marivaux soit « le plus admirable roman qui ait jamais été écrit. » Est-il bien sûr aussi que, « comme l’a dit Ruskin, le repos glorieux soit celui du chamois couché haletant sur son lit de granit, et non celui du bœuf dans l’étable ruminant son fourrage ? » et, au fait, qu’est-ce que cela veut dire ?


Le Directeur-Gérant,
F. Brunetière.