Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/242

Cette page a été validée par deux contributeurs.

générosité, mais c’est un livre de bonne foi, dont il faut louer la franchise, les intentions et l’opportunité. Persuadé que la cause unique de « presque tous nos insuccès » et de « presque tous nos malheurs », c’est la faiblesse de notre volonté, M. Jules Payot s’est proposé de le démontrer, et de réagir pour sa part contre cette horreur de « l’effort durable », qui est assurément la grande maladie de nos jours. Nous avons en général une manière de vouloir dont la conséquence la plus ordinaire est de nous mener où nous ne voulions pas, et, longtemps avant M. Payot, j’avoue que saint Augustin s’en était aperçu. Volens quo nollet pervenerat. Mais en ce temps-là, — M. Payot a raison d’en faire la remarque, — l’autorité reconnue de la religion « suffisait pour orienter, dans ses grandes lignes, la vie des fidèles, » et c’est pourquoi la discussion du problème de l’éducation de la volonté n’est devenue vraiment urgente que depuis qu’il s’est « laïcisé ». Nous entendons avec M. Payot, par ce mot de Volonté, le pouvoir que nous avons, ou que nous devrions avoir, de nous résister à nous-mêmes, de contre-balancer ce que Taine appelait « les grandes pressions environnantes », et de créer enfin nous-mêmes un nouvel être en nous. Si ce n’est pas la seule raison qu’il y ait de vivre, c’en est l’une des principales : se conquérir pour se refaire, et ensuite essayer de former les autres à son image.

Quels moyens en avons-nous ? On conçoit aisément qu’avant de les indiquer M. Payot ait cru devoir écarter les théories qui font de nous les produits de notre milieu, les captifs de notre hérédité, les créatures des circonstances. Nous avons sur nous-mêmes un pouvoir effectif ; l’histoire et l’expérience le prouvent. Mais ce que l’on voit moins bien c’est les raisons qu’a eues M. Payot d’attaquer si vivement « la désastreuse théorie du libre arbitre, » comme il l’appelle ; — et, pour en triompher, je crains fort, à vrai dire, qu’il ne l’ait dénaturée. « Nul n’est libre s’il ne mérite d’être libre, » s’écrie M. Payot ; et je suis bien de son avis.« Il n’y a de liberté pour nous qu’au sein du déterminisme, » dit-il encore ailleurs ; et je ne fais pas difficulté de l’en croire : les stoïciens, les protestans, les jansénistes m’en serviraient au besoin de preuve. Et que ce soit enfin « une étroitesse inconcevable de vues que de confondre le déterminisme avec le fatalisme. » je ne veux pas en douter un instant. Mais n’en finirons-nous donc jamais avec ces querelles de mots ? Car ce ne sont, — au point de vue de la vie pratique, de la vie réelle, de la vie morale, — que de pures querelles de mots. Une seule chose importe : c’est de savoir si nous ne sommes pas incapables d’agir sur nous. Les théoriciens du libre arbitre ont-ils donc jamais enseigné l’inutilité de l’effort ? « Nul de nos maîtres ne nous apprenait, dit M. Payot, que la volonté se conquiert lentement. » Voilà des maîtres qui ne ressemblaient guère à ceux que j’ai connus ! Mais à quoi bon ce genre de discussions ? Dire du libre arbitre « que non seulement il n’a rien à faire