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peuples allemands ont bénévolement reconnue à la Prusse depuis 1871.

Il n’est pas rare de voir les États déchoir par les mêmes moyens qui ont servi à les élever : la transformation du fédéralisme germanique en une monarchie absolue, ou la prussification forcée de l’empire serait un rêve qui pourrait coûter cher à celui qui le concevrait et qui tenterait de le réaliser. En tout genre la mégalomanie a de fâcheux lendemains ; l’Italie est en train d’en faire l’expérience, et l’on assure que M. Crispi est aujourd’hui déterminé à faire petit, pour bien faire. Le nouveau premier ministre du roi Humbert, aujourd’hui plus que septuagénaire, aurait, en vieillissant, dépouillé le vieil homme. Les difficultés qu’il aura à résoudre sont assez sérieuses en effet pour lui épargner l’envie d’en imaginer volontairement de nouvelles, et ces difficultés mêmes ont rendu fort laborieux l’enfantement du cabinet dont il vient de prendre la direction.

Il y a cinq semaines, lorsque la chute de M. Giolitti eut créé la vacance du pouvoir à Rome, M. Zanardelli, président de la Chambre des députés, fut chargé de former un ministère. Il avait dressé une liste qui n’attendait plus, pour devenir officielle, que l’approbation royale, lorsqu’on apprit tout à coup qu’il avait résigné son mandat. Suit que le roi, sur les représentations officieuses de la cour devienne, ainsi qu’on l’a prétendu, eût donné au général Baratieri, originaire du Trentin, l’ordre de refuser le portefeuille des Affaires étrangères que M. Zanardelli lui avait fait accepter, soit que l’absence d’un ministre du Trésor, que l’on n’était pas parvenu à trouver, donnât à la nouvelle combinaison, dans les circonstances actuelles, un aspect par trop insuffisant, la crise se rouvrit de plus belle, et l’Italie, fatiguée de ces atermoiemens, bien qu’elle eût, il y a quelques années, salué avec joie la chute de M. Crispi, reçut avec une égale satisfaction la nouvelle de son retour.

Le nouveau président du Conseil s’est efforcé de donner à son cabinet des bases assez étendues et une assiette assez solide. Il a notamment fait une place à MM. Sonnino et Saracco, auxquels ont été confiés les portefeuilles des finances et des travaux publics. Il convient de rappeler, au point de vue intérieur, que M. Sonnino, député de Florence, fut l’un des fondateurs du groupe du centre droit, qui visait à enlever aux gauches le monopole du pouvoir, dont elles ont joui depuis 187(i jusqu’à l’avènement du marquis di Rudini.

Au point de vue extérieur, nul ne s’attend à voir M. Crispi révolutionner le système de la Triple Alliance, que du reste il incarne, et qui a devant lui plus de cinq années encore à courir. Toutefois le choix, comme ministre des Affaires étrangères, du baron Blanc, qui s’est prononcé assez énergiquement jadis contre la politique mégalomane, est de bon augure. Aussi bien ne s’agit-il guère en ce moment, par-delà les Alpes, de la politique du dehors, ou même du dedans, bien que les