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de la patrie : « La patrie, dit le Catéchisme du soldat, publié par un adepte de ces idées, c’est tout ce qui nous opprime, tout ce que nous devons haïr. » — Aucune sensiblerie surannée ne le rattache donc au sol français, à ce patrimoine de souvenirs, de gloires et d’affections communes que la presque unanimité d’entre nous prise encore. Rien ne sera donc plus indifférent à ce petit groupe d’irréconciliables que de quitter cette vieille nation sans esprit de retour. On pourrait pousser la générosité jusqu’à donner à ces colons involontaires une première mise en outils de diverse nature et en semences appropriées ; et nous suivrions de loin avec intérêt la construction, sur une terre vierge de toute compromission capitaliste et administrative, d’un État vraiment anarchiste et révolutionnaire, tel qu’il parait impossible de l’organiser au sein d’une Europe déjà trop encombrée.

Avant d’en venir à l’expatriation obligatoire des fauteurs de crimes anti-sociaux, nous prenons plaisir à constater que déjà les modestes lois préventives votées contre eux ont adouci le ton de leur polémique. La crainte du commissaire de police a été, pour certains conférenciers de la « propagande par le fait », le commencement d’une modération relative ; la menace de poursuites a décidé quelques organes anarchistes à cesser leur publication ; et d’autres ont averti leurs lecteurs que, en présence d’articles du code qui punissent désormais l’apologie des crimes, ils n’étaient plus libres d’exprimer toute leur pensée. La majorité ministérielle, hésitante au début de la session, que le gouvernement cherchait et que, suivant l’ingénieuse expression de M. Millerand, « le compagnon Vaillant lui a apportée dans une marmite », fera donc bien, par son attitude, de seconder le président du Conseil dans la campagne courageuse et nécessaire qu’il a entreprise.

Si nous ne croyons pas qu’il soit juste, si nous ne croyons même pas qu’il soit profitable au prolétariat de porter atteinte à la propriété privée ; si nous ne blâmons pas la bourgeoisie de demeurer sourde aux conseils de ceux qui voudraient la voir faire, à son tour, sa nuit du 4 août, se dépouiller plus ou moins volontairement, apporter ses rentes, ses terres et ses usines pour les offrir à la communauté, nous trouverions excessif, et tout à fait impolitique, dans le temps présent, de faire du socialisme au profit des propriétaires, en élevant encore les droits de douane sur le blé et sur le vin, comme il en a été question, ces derniers jours, à la Chambre.

Les propriétaires fonciers, qui trouvent généralement inouïe, — et ils ont raison, — la prétention des ouvriers de se faire garantir, par les lois, une rémunération minimum constante de leur travail, veulent absolument que l’État garantisse à leurs produits agricoles un prix minimum et constant. Lorsque les fluctuations du marché, par suite de l’abondance des récoltes, amènent un abaissement de valeur des den rées qu’ils ont à vendre, — abaissement d’ailleurs avantageux aux