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TROIS ROMANCIERS SCANDINAVES

I.
JONAS LIE

En allant de Copenhague à Christiania, je m’arrêtai quelques heures dans une ville de pêcheurs, Grimstad, au bord du fjord, sur la côte sud. Ville ? Non pas. Bourgade plutôt, qu’une rue boueuse et mal pavée coupait en deux ; une cinquantaine de maisons en briques que séparaient les unes des autres des jardins dépouillés par l’automne. J’eus vite fait de la parcourir, et, au bout d’un quart d’heure à peine, je me trouvai dans la campagne, au milieu d’un chemin raviné, que balayaient les rafales venues du large, pleines de colères. Et la mer, écumante et grondante, m’arrêta. Grimstad est un bourg, Bergen est une grande ville : toutes deux, pourtant se ressemblent en toutes choses et surtout en ceci que, « quand la brise souffle sur la pleine mer, on peut deviner, à l’odeur, quelle marchandise est sur les quais[1]. » Cette odeur, c’est celle du poisson. Elle est partout et vous poursuit tenace et opiniâtre, inévitable, sur le port où l’on empile cette cargaison dans la saumure pour aussitôt l’expédier dans le sud. Et ce vigoureux et sain parfum, il est comme le symbole sensible de la prospérité de ces villes où la pauvreté est inconnue, de la force virile de ces populations, qui vivent de la mer, pour elle, au milieu d’elle, presque.

Le peuple des marins norvégiens vaut mieux que le peuple

  1. Björnson, La fille de la Pêcheuse, I.