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produit, pour soudaine qu’elle soit, ne les prend pas au dépourvu, qu’elle n’exige d’eux ni tâtonnemens infructueux, ni une évolution correspondante dans les conditions économiques et sociales. Cette épreuve, redoutable pour les colons brusquement mis en contact avec les exigences d’une civilisation impatiente, ne s’impose pas ici. L’ouverture des routes ne fait que dégager des plantations déjà créées et prêtes à s’étendre, que faciliter l’écoulement de produits déjà connus et appréciés ; les ports existent, ils sont sûrs et peuplés ; les centres commerciaux s’échelonnent au long de l’île, bien distribués sur les côtes, au nord et au sud, à l’est et à l’ouest, permettant d’établir des voies de pénétration convergeant au centre et d’un développement relativement restreint. Les routes, qui relient déjà les ports aux ports et auxquelles on substitue un chemin de fer circulaire, fournissent des points d’appui qui facilitent les travaux en cours.

Avant même qu’ils soient achevés, le fret s’offre, le trafic surgit en quelque sorte au long des rails à peine posés et ce trafic s’annonce important ; le sucre et le café sont d’excellente qualité ; si le tabac ne vaut pas celui de Cuba pour la confection des cigares, il est recherché en tant que tabac à fumer ; l’apiculture donne d’excellens résultats et la cire et le miel commencent, ainsi que les fruits, à figurer à l’exportation. De 9000 tonnes de sucre, la production s’est élevée à 65 000, celle du café a été portée de 3 000 à 25 000 tonnes, celle du tabac de 300 à 1 500 balles. Ce n’est encore qu’un début, mais ce début alimente déjà un mouvement commercial de 150 millions, desservi par près de 3 000 navires.

Moins nombreux ici qu’à Cuba et à Haïti, vu la distance plus grande des États-Unis, l’élément américain est, à Puerto-Rico encore, le représentant et le facteur le plus actif du progrès. Rien d’étonnant à ce que l’on en ait conclu que les États-Unis convoitaient l’annexion de ces îles et surtout de Cuba. Il fut un temps, antérieur à la guerre de Sécession, où l’esclavage était de droit et les États du Sud maîtres de l’Union américaine, où les États du Nord luttaient pour conquérir la prééminence dans le Congrès, et, par leurs annexions répétées aux dépens du Mexique, voyaient grossir le nombre des États anti-esclavagistes et grandir leurs forces, où le Sud, impuissant à s’étendre, voyait diminuer les siennes et cherchait des compensations du côté des Antilles. Mais ces visées annexionnistes, nées d’une situation politique qui n’existe plus et qui étaient spéciales à un groupe d’États, condamnés, sous peine de déchoir, à étendre l’esclavage, non seulement n’ont plus de raison d’être, mais sont en elles-mêmes et par elles-mêmes antagonistes aux traditions nationales, à l’orientation donnée, dès le début, par les fondateurs de la République, hostiles à toute