Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un tyran sans l’être[1]. » L’ambassadeur de France ne devait donc attendre d’un tel souverain qu’une politique fort équivoque, des phrases affectueuses, et des actes ambigus.

Il était également impossible de faire fond sur les conseillers de la couronne. Le président du conseil, M. de Villaverde, cachait sous des apparences de bonhomie et de bienveillance à notre égard des sentimens systématiquement hostiles ; Junot en parle en termes très sévères : « C’est un personnage rusé, dit-il, à qui on ne doit jamais se lier ; le trésor public est sa caisse ordinaire[2]. » Ajoutons qu’il n’avait d’autre principe de gouvernement que l’entente secrète avec le cabinet anglais. M. d’Anadia, ministre de la marine, ne savait que se lamenter sur la triste situation de son pays, sans être à aucun degré capable d’y porter remède[3]. Au fond, le gouvernement impérial ne rencontrait à Lisbonne d’autres sympathies que celles de M. d’Araujo, qu’il avait poussé au ministère des affaires étrangères et qui inclinait visiblement de notre côté ; mais son crédit était restreint par cela même au milieu de collègues d’opinion contraire et en présence d’un souverain favorable à nos ennemis. Cet homme aimable, spirituel, eût peut-être réussi en des conjonctures moins délicates à rapprocher le régent de la France ; mais il n’avait pas d’influence, et, dans la pensée du prince, il ne servait qu’à atténuer les défiances de l’empereur. On comptait sur lui à Lisbonne pour masquer par une habile phraséologie les tendances anglaises du gouvernement, pour prévenir des exigences trop précises et pour traîner en longueur. Lui-même d’ailleurs, tout bien disposé qu’il fût pour la politique impériale, n’envisageait pas sans inquiétude les périls que ferait courir à son pays une rupture avec le cabinet de Londres ; il voulait bien s’en éloigner peu à peu, mais non point le pousser à bout ; il consentait volontiers à interpréter la neutralité dans un sens avantageux pour la France, mais n’entendait pas y renoncer. Il représentait seul dans le cabinet l’élément français, et encore d’une façon un peu flottante, ménageant des intérêts divers, et ne donnait à l’ambassade qu’un concours parfois inutile, toujours incertain.

Les autres ministres étaient fort médiocres ; les finances avaient été confiées à M. de Vasconcellos, « incapable, écrivait Junot, d’être commis dans un de ses bureaux, » et qui passait pour s’occuper avant tout de sa propre fortune, « ce qui, disait encore

  1. Histoire du Portugal, par M. de Stella, II, p. 107 et suiv.
  2. Junot à Talleyrand, loc. cit. — Mémoires de la duchesse d’Abrantès, t. VI.
  3. Ibid.