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gracieuses paroles : Charles IV et la reine, avec une courtoisie qui montrait combien le prestige de la nouvelle dynastie était grand auprès des anciennes maisons souveraines, furent l’un et l’autre on ne peut plus affables envers la jeune femme qui apportait les élégances de la France impériale dans le vieux palais des Bourbons. La conversation fut dégagée de tout appareil, mondaine, familière même, dirigée avec beaucoup d’art par Maria-Luisa sur les divers objets qu’elle devait effleurer, l’impératrice Joséphine, les fêtes des Tuileries, les modes, les usages de cette société impro visée et déjà si brillante. Mme Junot eut l’occasion de mettre à profit les conseils que lui avait donnés Napoléon et elle laissa les souverains sous l’impression de son aimable esprit et de sa distinction parfaite. Tous deux félicitèrent depuis le général qui ne manqua pas de faire connaître ces complimens à Paris.

Lui-même fut reçu quelques instans après, en visite particulière, par le roi d’abord, puis par la reine. Il remit à Charles IV la lettre impériale ; ce document était conçu en termes affectueux, mais très laconiques : l’empereur y rappelait la nécessité de lutter avec énergie contre les Anglais : « Votre Majesté tenant tout ce qu’elle a promis, disait-il, je lui réponds que nous ferons repentir ces dominateurs de la mer. » Il insistait sur l’envoi d’argent dans les ports : « C’est le seul moyen de lever tous les obstacles. » Il terminait en rappelant « la nécessité de forcer le Portugal à faire cause commune » avec la France et l’Espagne[1]. Le roi lut attentivement cette missive et se déclara prêt à tout faire « pour seconder Sa Majesté » ; mais, — avec une certaine mélancolie assez justifiée, car Napoléon ne lui disait rien de ses combinaisons maritimes, — il ajouta « que la meilleure preuve de sa bonne volonté était qu’il donnait ses escadres pour des opérations qu’on ne lui avait même pas confiées ». Ce silence attestait en effet la décadence de l’antique monarchie qui avait jadis joué le premier rôle en Europe. Charles IV se borna à celle vague plainte et. acheva sa courte allocution par quelques phrases qui témoignaient de son entière condescendance. Il n’entra d’ailleurs dans aucune considération de politique générale, dans aucun détail pratique, n’étant instruit d’aucun des rouages de son gouvernement.

Junot trouva au contraire chez la reine une entière connaissance de la situation : le prince de la Paix conduisait tout en Es pagne, mais elle se tenait au courant des affaires et les menait de concert avec lui. Son langage exprima, il est vrai, le même dévouement à l’empereur ; toutefois elle eut soin de faire remarquer, en

  1. Correspondance de Napoléon, n° 8351.