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vinrent, l’une après l’autre, des deux côtés de la Chambre, ce fut une chose gaie d’entendre le chancelier déclarer que les oui l’emportaient. The ayes have it. Mais la forme le veut ainsi, et ce n’est pas à Westminster qu’on lui manquera de respect. La protestation d’usage se produit, le vote régulier a lieu et, en joignant aux suffrages exprimés les bulletins écrits (proxies), — les lords ont le privilège de voter même quand ils sont absens, — on arrive au total suivant : 41 voix sont favorables au bill, 419 le repoussent. Pas même 1 contre 10 ! On s’attendait à une majorité énorme, écrasante ; elle dépasse toutes les espérances des adversaires de M. Gladstone.

Quelques jours s’écoulent et voici qu’on commence à s’ébranler dans le camp libéral. D’abord paraît le manifeste de la Fédération Nationale Libérale. Il est hautain, provocant, ironique, comme il convient. Il contient la formule menaçante : End or Mend, qui est un équivalent anglais de « se soumettre ou se démettre ». (Les peuples, paraît-il, tiennent à la rime encore plus qu’à la raison.) Dans ce morceau de papier déclamatoire, où les phrases ont l’air de crier, il est dit que les lords céderont « suivant leur habitude », sinon les libéraux sont prêts à engager une lutte dont l’issue ne leur fait pas peur. Au bas de ce quos ego, on lit, entre autres, le nom, le terrible nom de Schnadhorst, l’organisateur de la victoire, et, au besoin, de la défaite. Ce nom vaut une armée.

M. Gladstone paraît à son tour sur la scène. C’est au cœur de son fief électoral, à Edimbourg, dans une salle dont l’acoustique répond exactement au volume de sa voix : quand on possède un grand old man, il faut savoir le soigner. Cette salle ne renferme que mille auditeurs, mais triés sur le volet : chacun en vaut dix. Demain, dans tous les journaux du monde, la mémorable harangue s’étalera et chacun pourra y puiser des argumens pour l’agitation qui commence.

M. Gladstone débute en constatant que l’Angleterre soutire d’une disette de lois (a legislative famine''). Elle attend de ses représentans d’urgentes mesures, réclamées ou acceptées de tous. Qui donc « empêche la voie sans raison » ? Vous seriez tentés de répondre : « C’est M. Gladstone par son obstination à imposer le home rule. » Mais M. Gladstone assure que c’est la Chambre des lords par son obstination à le repousser. Cette Chambre, dit-il, est fidèle à son rôle traditionnel. « Depuis un siècle, a affirmé quelqu’un, elle n’a rien fait pour la liberté populaire ni pour le progrès social. Durant ce temps elle a couvé tous les abus, protégé tous les privilèges. Elle a dénié la justice, retardé les