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l’homme d’État anglais comme l’écrivain français, tout en bouffonnant, sait parfaitement de quoi il parle, et donne la note juste avec le mot vrai.

En effet, il continue à peu près ainsi. Puisque le bill ne doit pas vivre, à quoi bon en critiquer ou en défendre les détails ? Ce n’est pas sur la loi de M. Gladstone qu’on va voter, mais sur sa politique irlandaise. Vous préférez la vôtre, mais quelle est-elle ? Êtes-vous sûrs qu’elle soit la meilleure ? Êtes-vous sûrs seulement d’en avoir une ? Pour moi, je ne suis sûr de rien en ce qui touche l’Irlande. On applaudit : il feint de prendre cet applaudissement pour un aveu. Et, ramassant la balle avant qu’elle ait touché terre, il s’écrie : « Vous non plus ? Vous n’êtes sûrs de rien ? À la bonne heure ! Cela me laisse quelque espoir pour l’avenir. » Si vous repoussez le bill en seconde lecture, c’est-à-dire dans son principe, vous affirmez qu’il n’y a rien à faire en Irlande. Or, c’est la vérité contraire qui s’impose. Si nous voulons ne plus avoir l’Irlande « sur le dos », trois solutions sont possibles. Premièrement le maintien du statu quo avec la politique de répression poussée jusqu’à ses dernières limites, en prenant pour devise le Don’t hesitate to shoot. En second lieu, l’Irlande privée de ses droits politiques et réduite à l’état de colonie de la couronne. Enfin, quelque large et généreuse expérience d’indépendance administrative sur laquelle les hommes intelligens des deux partis se mettraient d’accord. C’est là qu’il faut en venir, c’est là qu’on en viendra.

Lord Rosebery s’est rassis, ayant fait mieux qu’amuser la Chambre et parler sans rien dire pendant une heure un quart. Il a dégagé la question enterrée sous les décombres d’une loi ratée, et s’est fait pressentir, cette fois encore, en qualité d’arbitre. Peut-être est-ce lui qui finira la grève des législateurs, de même qu’il a fini la grève des charbonniers.

Si j’ai insisté sur l’homme et sur ses méthodes, c’est parce que les Français auront affaire à lui et ont, par conséquent, intérêt à le connaître. Il faut se méfier de lui, surtout après l’échec apparent qu’on lui a fait subir sur le Meinam. Il ne frappera jamais sans toucher, car il sait mieux que personne que l’eau n’est pas faite pour y donner des coups d’épée, mais des coups de rame.


II

Lorsque lord Herschell mit la question aux voix, et qu’une maigre rumeur approbatrice, puis une formidable négation