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LES JUIFS SOUS LA DOMINATION ROMAINE.

ceul. Ces ressources lui furent fort utiles pour se conserver la faveur d’Antoine, qui était bonne, mais coûtait cher.

Au fond, Hérode n’était pas Juif de cœur ; nous croyons même qu’il haïssait le judaïsme ; c’était un Hellène, comme Antiochus Épiphane, mais un Hellène bien plus sage, qui ne songea jamais comme le roi de Syrie à la suppression du judaïsme. Il eût voulu un judaïsme libéral, tolérant, comme nous rêvons un catholicisme doué des mêmes qualités (qui ne serait plus un catholicisme). Il faisait à ses coreligionnaires d’apparence toutes les concessions possibles. Une des plus importantes fut de s’être interdit, comme les Asmonéens, de mettre son portrait sur ses monnaies. Sur aucun des monumens qu’il fit bâtir à Jérusalem il n’y avait d’images figurées[1]. Pour les mariages de ses filles, il exigea toujours la circoncision de ses gendres. L’Arabe Syllæus, qui épousa sa sœur Salomé, fut amené par lui à embrasser le judaïsme. Il respecta toujours beaucoup les deux pharisiens illustres Saméas et Pollion et il les dispensa du serment de fidélité. Mais il se réservait personnellement des licences que les pharisiens devaient trouver excessives. Hors de Palestine, il n’observait pas la Loi ; il élevait des temples païens ; ses fêtes, même à Jérusalem, étaient des violations des préceptes les plus sacrés. Son entourage hellénique, sa vie toute grecque, étaient chez un roi des Juifs des inconséquences flagrantes. On dirait que, sous son règne, le sanhédrin n’exista pas, tant il eut un rôle insignifiant.

Il se riait à la lettre des grands prêtres, qui furent un jouet dans sa main. À Hananel succéda un inconnu, Jésu fils de Phabi, et à celui-ci un certain Simon fils de Boëthus, dont la fille passait pour la plus belle personne de Jérusalem. Hérode en devint amoureux, résolut de l’épouser, et, pour élever la famille jusqu’à lui, fit le père grand prêtre. Le chef de cette famille, Boëthus, d’Alexandrie, était un juif helléniste, riche, mondain, assez ressemblant à Hérode lui-même. Ce Boëthus et les siens passaient pour des mécréans, des épicuriens. Trois membres, au moins, de cette famille occupèrent le souverain pontificat dans la seconde moitié du règne d’Hérode et sous Archélaüs. Ils furent le centre d’un groupe que l’on confondit souvent avec les sadducéens, et qu’on appela les Boëthusim, mot synonyme d’impies, matérialistes, incrédules. Un gros parti raisonnable se forma ainsi ; mais, comme

  1. L’aigle sur la porte du temple (Jos., Ant., XVII., VI ; B. J., 1, XXXIII, 1) et l’aigle sur la monnaie (Schürer, I, 327, note) paraissent devoir s’expliquer par l’hypothèse que, dans les derniers temps de sa vie, Hérode aurait eu moins d’égards pour les préjugés de ses sujets.