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dont parle le duc de Devonshire, c’est une élection générale, et le résultat du vote des lords, c’est, dans sa pensée, une belle et bonne dissolution.

Ainsi, de part et d’autre, s’est engagé le débat où, comme on voit, les deux thèses ne se répondent pas, où les adversaires sont hors de portée et ne se font même pas face. Les leaders de chaque parti n’avaient entre eux qu’une idée commune : se maintenir dans la région des principes ; c’était pour eux, d’ailleurs, une obligation constitutionnelle, la discussion, en seconde lecture, portant toujours sur l’objet général d’une loi et non sur les détails d’exécution. Cela n’a pas empêché certains esprits de médiocre calibre, qui sont intervenus dans le débat après lord Spencer et le duc de Devonshire, d’y jeter, comme on devait s’y attendre, des personnalités et des arguties. Les deux premières soirées se sont ainsi traînées un peu languissamment. Le troisième jour, lord Rosebery a paru sur la scène.

Heureux lord Rosebery ! Ce que le poète a si bien dit, on peut le lui appliquer :


Sa bienvenue au jour lui rit dans tous les yeux.


Il plaît beaucoup à la reine ; il n’est pas moins sympathique à M. John Burns. Les extrêmes du parti ouvrier ont toute confiance en lui pour aller jusqu’au bout des revendications populaires, car il s’est fait soupçonner de socialisme : ce qui était encore fort à la mode il y a six mois. Il est, — chose profondément comique ! — le candidat de lord Salisbury à la direction du parti libéral (quand M. Gladstone n’y sera plus), et, — chose encore plus plaisante ! — il est probable que les libéraux accepteront le candidat de lord Salisbury. À quel autre ministre aurait-on pardonné comme on l’a fait la reculade de Bangkok, en lui escomptant les avantages et les beautés de l’Etat-tampon ? L’autre jour, il n’a eu qu’à se présenter pour faire cesser la grève du charbon qu’on jugeait interminable, mais dont, en réalité, le gouvernement, la presse, le public, les patrons et les mineurs, tout le monde, enfin, étaient las. C’est un peu la chance de Pompée qui fut appelé grand pour avoir « fini » les victoires des autres. Au parlement, il a le droit de tout dire : on n’essaie pas de lui rendre ses coups, on les reçoit avec une sorte d’attendrissement, « Cher petit ! Comme il frappe juste ! Comme il frappe fort ! Qu’il a d’esprit ! » Le cher petit approche de la quarante-cinquième année. Il n’importe : lord Rosebery est un « jeune ministre. » Certains hommes savent garder jusqu’au premier cheveu gris tous les privilèges de l’enfant gâté.

J’ai parlé de chance. C’est un mot à moitié injuste. Lord