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a pris l’initiative d’une mesure équivalente au résultat d’une guerre civile et d’une révolution.

Comme on proclamait les chiffres du scrutin, et pendant que les applaudissemens ironiques des vaincus saluaient cette victoire à la Pyrrhus, un clerc glissait sous sa robe une copie de la loi et le procès-verbal du vote. Il traversait précipitamment la galerie qui réunit les deux Chambres et jetait le document sur la table de la haute assemblée. Là, devant quelques pairs (il n’en faut que trois pour que la Chambre soit en nombre), en moins de cinq minutes, on dépêchait cette formalité qui s’appelle la première lecture de la loi. Puis on s’ajournait au mardi suivant.

C’est, en effet, le mardi 5 septembre que la discussion s’est ouverte. Etait-ce bien une discussion ? Il y a eu un temps où une belle harangue, un argument éloquemment présenté passionnaient et retournaient une assemblée, où les convictions s’improvisaient à la lecture des discours. Aujourd’hui ce sont les discours qui s’improvisent et les convictions qui sont faites d’avance. Les batailles parlementaires ont perdu ce genre d’intérêt qui s’attache aux jeux de hasard et aux jeux de la guerre, à toutes les grandes parties dont l’issue reste obscure. De quoi s’agit-il ? Il s’agit, pour les hommes en vue, de prendre position, de se composer une attitude, pour les chefs de groupes de préciser les raisons pour et contre au nom de cette légion de muets qui les suit. Tous les orateurs parlent à la cantonade, sans souci de ceux qui les écoutent, uniquement préoccupés de cet inconnu, ami ou ennemi, instruit ou illettré, qui, demain, après avoir avalé son thé ou en omnibus, déploiera le journal d’un geste brusque : c’est cet homme-là qui est leur dernier juge. Et, l’observateur, notant ce symptôme, non sans tristesse, constate que la vie commence à se retirer des parlemens : ces instrumens de progrès et de justice sembleraient avoir fait leur temps, si les révolutionnaires n’avaient des moyens de leur façon pour y ramener l’intérêt et l’émotion.

Il faut en faire son deuil, l’éloquence de Chatham et de Hurke st une arme aussi démodée que l’arc avec lequel les yeomen anglais ont combattu à Crécyet à Azincourt. Dans la discussion récente à la Chambre haute, aucun des nobles pairs n’a tenté d’être éloquent. Lord Spencer a « introduit » la loi en termes fort simples, où les journalistes du parti unioniste ont découvert des traces d’humilité et d’embarras. Je n’y ai vu qu’un peu de mélancolie. C’était le vieil argument en faveur du home rule, mais il prenait, dans la bouche de lord Spencer, l’autorité d’un témoignage personnel. Imaginez un homme de ce rang et de ce caractère qui vient dire à ses collègues : « J’ai été, pendant huit ans, le maître de l’Irlande