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diens, ont été équilibrés nos deux derniers budgets. Nul, parmi ceux qui suivent de près la question d’argent, ne peut s’empêcher d’en concevoir quelque inquiétude. Depuis le commencement de 1893 jusqu’à ce jour, soit par l’effet de moins-values sur les recouvremens, soit par suite de crédits additionnels de toute nature, l’excédent des dépenses sur les recettes s’élève à 45 millions, en tenant compte de l’économie qui résultera, à la fin de l’année, des dépenses prévues et non effectuées. À cette somme de 45 millions viennent s’ajouter 43 autres millions auxquels montent les demandes supplémentaires portées, il y a quelques jours, devant les Chambres. Voilà 87 millions de dépenses qui n’ont pas de contre-partie dans les recettes.

Si l’on y joint, en dehors du budget ordinaire, les services alimentés par l’emprunt qui, pour 1893, se chiffrent par 140 millions environ, on atteint, pour l’exercice en cours, un déficit probable de 220 à 230 millions. Comment le nouveau ministère entend-il y pourvoir ?

C’est là une préoccupation qui se recommande aussi à l’attention des députés qui seraient tentés, par des interpellations inconsidérées, d’émouvoir le pays et de pousser le gouvernement à des entreprises coloniales dont nous ne recueillerons aucun profit immédiat. Nous avons à l’heure actuelle, en Asie et en Afrique, beaucoup d’affaires sur les bras, et nous possédons à la Chambre un groupe dit « de politique extérieure et coloniale », fort important puisqu’il compte 120 membres et fort dévoué aux multiples intérêts de la France dans le monde, mais dans le sein duquel s’agitent des gens trop pressés et trop belliqueux. Pour fortifier, pour étendre même, si l’on veut, notre domaine extra européen, la diplomatie populaire et la diplomatie parlementaire, qui se ressemblent beaucoup l’une à l’autre, sont le contraire de la bonne diplomatie.

Lorsque nous avons signé avec le Siam, à la fin de juillet dernier, une paix avantageuse, puisqu’elle nous assurait la possession de la rive gauche du Mékong et la neutralisation, à notre profit, d’une zone de quelque importance sur la rive droite de ce fleuve, notre ministre des Affaires étrangères, M. Develle, qui avait très dextrement conduit les négociations, a conclu avec le marquis de Dufferin, ambassadeur d’Angleterre, un arrangement en vertu duquel la France admettait le principe de la création d’un État-tampon entre les possessions réciproques des deux gouvernemens.

À vrai parler, il est difficile de comprendre pourquoi la Grande-Bretagne tenait tant à ne pas être notre voisine immédiate, sur ce point de l’Extrême-Orient, lorsque nous vivons ailleurs coude à coude en bonne intelligence. Elle a d’autant moins de raison de désirer la fondation d’un État artificiel, que les territoires intermédiaires de ce genre sont inévitablement des foyers d’insurrection et de désordres, en un mot de vrais nids à chicanes. Mais, une fois le principe admis par