Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/953

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de M. de L’Angle-Beaumanoir au Sénat, relative à une punition de quinze jours de salle de police infligée à deux séminaristes pour avoir servi la messe en uniforme, avait péniblement impressionné les esprits les moins dévots, qui estiment qu’un soldat a aussi bien le droit d’employer ses loisirs à prendre part, en tenue, aux offices d’une église, qu’aux parties de billard d’un café ou à d’autres parties… ailleurs.

Le chef du Cabinet, petit-fils du grand ministre de 1831, qui sut donner aux débuts du règne vacillant de Louis-Philippe figure et forme de gouvernement, fils de cet ami de M. Thiers qui, avec les Montalivet et les Rémusat, apporta à la république indécise de 1872 un concours qui devait faire impression sur le pays et favoriser la marche ascendante d’un régime jusqu’alors détesté ; le chef du Cabinet est un rallié de la première heure et, comme tel, son loyalisme ne peut être suspect à aucun des députés de la majorité. Par ailleurs, neveu du duc d’Audiffret-Pasquier, beau-frère du comte de Ségur, son nom est de nature à n’épouvanter point ni les ralliés d’aujourd’hui ou ceux de demain, républicains de la douzième heure, ni même les conservateurs qui persistent à repousser théoriquement la forme actuelle. À son tour, il peut contribuer à l’inauguration d’une ère de paix intérieure à laquelle les conjonctures semblent propices.

Tout porte à croire que tel est son but, et la déclaration officielle par laquelle il a préludé à ses rapports avec les représentans du pays le dénote suffisamment. L’esprit qui l’anime, les projets qu’elle annonce et ceux qu’elle repousse sont à peu près les mêmes que M. Dupuy repoussait et annonçait dix jours auparavant. Il s’y mêle cependant je ne sais quelle grâce subtile répandue dans le discours pour adoucir les arêtes des refus, et colorer d’une ombre de réalité les espérances que l’on sait trop lointaines. Contre cette bonne volonté et, pour me servir d’un mot vulgaire, ce bon-garçonisme politique, l’on ne saurait trop mettre en garde M. le président du Conseil. Il ne désarmera, il n’endormira ainsi aucun de ses adversaires ; il risquerait, par trop de relâchement, de laisser s’éparpiller ses amis. Le premier Casimir Perier, qui parlait au roi avec indépendance, n’avait pas moins de fierté avec les Chambres. On lui reprochait une certaine brutalité de langage et des allusions souvent cassantes ; c’était la forme de son énergie. Son petit-fils nous paraît pécher au contraire par mansuétude.

Le Parlement est plein de personnes moyennes et sincères qui croient que, pour avoir de grandes idées, il suffit d’éprouver le désir d’en avoir ; il est pénible, mais nécessaire de les détromper. La tâche de l’homme d’État consiste, selon le mot de Leibniz, « à séparer de la paille des mots le grain des choses ». Quoique la déclaration de M. Casimir Perier soit beaucoup plus courte que celle de M. Dupuy, elle fait cependant plus de promesses, et des promesses plus grandes, parmi lesquelles il en est que l’on ne peut pas tenir. Quelques socialistes ont