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irréprochable, et fait grand honneur aux imprimeurs Chamerot et Renouard. Elle est précédée d’une lettre d’Alexandre Dumas fils, « souvenir et hommage à ce grand ami dont il est séparé depuis vingt-trois ans », et qu’on ne pourra lire sans émotion. Après de nobles réflexions philosophiques sur la mort et l’immortalité, sur le rôle de la littérature, « miroir que les dramaturges, les romanciers présentent à l’homme et qui doit refléter ce qu’il y a de sain, de réconfortant en lui » ; après avoir affirmé qu’il lui faut une espérance, une consolation, un appui, un idéal, il ajoute : « Eh bien, voilà pourquoi, mon bon et cher père, j’ai pu te dire qu’il resterait beaucoup de ton œuvre et pourquoi le temps, envolé depuis lors, a ratifié mon dire. Voilà pourquoi, avec tes héros bien portans, gais, spirituels, intrépides, généreux, se dévouant jusqu’à la mort aux causes les plus nobles, aux sentimens les plus élevés, tu passionnes de plus en plus les foules depuis plus d’un demi-siècle ; pourquoi, malgré toutes les écoles, toutes les esthétiques, toutes les discussions sincères ou non, toutes les partialités et les dénigremens où se débat la littérature actuelle, tu es devenu, tu restes et tu resteras l’écrivain le plus entraînant, le romancier le plus populaire dans le bon sens du mot, non seulement de la France, mais du monde entier. Tu fais partie maintenant de ce qui soulage et console les misères humaines… À force d’intéresser, de passionner, d’enthousiasmer, de faire rire ou pleurer ces grands enfans qu’on appelle les hommes, ils ont fini par te considérer comme de leur famille, et ils t’appellent le père Dumas. »

Le Chevalier de Maison-Rouge[1] a paru en même temps, édité par la maison Testard avec le même luxe que les Trois Mousquetaires ; et quand on examine l’une après l’autre ces deux publications, on reste très frappé du contraste qui les distingue, et de la manière si différente dont les deux artistes, MM. Leloir et Le Blant, ont interprété ces deux romans avec tout leur talent, et chacun à sa manière ! . Plus d’un siècle s’est écoulé, on le sent bien, rien qu’à remarquer les personnages et avant même d’avoir lu une ligne du texte. Combien les temps ont changé et comme les personnages, le costume et les modes ont déjà varié ! Aux scènes héroïques, passionnées et superbes du temps des Mousquetaires ont succédé des scènes tragiques et empreintes de tristesse ; l’horizon s’est assombri, et l’inquiétude ou le tourment sont peints sur toutes les physionomies. Dans une éloquente préface M. Larroumet montre que le héros d’Alexandre Dumas n’a pas été inventé de toutes pièces, que le chevalier de Maison-Rouge a réellement existé et que le chevalier de Rougeville fut l’auteur d’un des projets d’évasion qui jusqu’au dernier jour disputèrent Marie-Antoinette à l’échafaud. L’impression que donnent les dessins de M. Le Riant, le maître peintre des Vendéens, est toujours forte et souvent puissante, et l’on ne sait ce que l’on doit le

  1. Le Chevalier de Maison-Rouge, par Alexandre Dumas, 2 vol. in-8o illustré par Julien Le Blant ; Émile Testard.