Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/934

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fils défendit d'annoncer officiellement la chose, afin de ne pas interrompre les réjouissances du carnaval. On commanda sa statue au sculpteur Bartolini ; mais jamais il ne put venir à bout de la faire. « Que voulez-vous, répondait-il à ceux qui s'en étonnaient, cette dame ne m'inspire décidément pas ! »


IV

J'aurais voulu pouvoir signaler encore d'autres articles sur des sujets d'histoire, récemment publiés dans les revues italiennes. Plusieurs sont très intéressans, par exemple l'étude de M. Masi sur Catherine Sforza, dans la Nuova Antologia, l'étude de M. Tononi sur Saint Benoît et celle de M. Claretta sur la Société de Turin au XVIIe siècle, dans la Rassegna Nazionale. Mais les malheurs de la reine d'Étrurie m'ont retenu trop longtemps. Je suis heureux, au moins, que M. Angelo Solerti n'ait point terminé, dans la Nuova Antologia, son étude sur Ugo et Parisina, ces deux amans tragiques que les poètes ont chantés, mais dont la véritable histoire restait encore à écrire : M. Solerti est en train de l'écrire avec une extrême abondance de documens inédits, dont je compte bien avoir l'occasion de traduire quelques-uns, quand l'ensemble de son travail aura enfin paru.

Voici, en attendant, une histoire de brigands qui aurait fait le bonheur de Stendhal ; elle est émouvante, accidentée, horrible à souhait, et, de plus, absolument authentique : car M. Molmenti, qui nous la raconte, s'appuie sur des documens officiels d'une valeur incontestable.

Le héros de cette histoire, le comte Lucio della Torre, portait un des plus grands noms de l'Italie. Fils du comte Girolamo della Torre, qui avait été tué, le 15 novembre 1699, par son propre frère, il fut élevé, aux frais de la République de Venise, dans un collège de jésuites. Dès le collège, son humeur indomptable se manifesta, et lorsque, en 1712, sa mère le maria à la belle Éléonore de Madrisio, déjà deux arrêts d'expulsion avaient été lancés contre lui. Mais il ne se souciait d'aucune loi humaine ni divine. Un jour, ayant battu sa jeune femme plus fort que de coutume, il brisa le crâne de son petit garçon, qu'elle était en train d'allaiter. Il s'enfuit de son château, revint à Venise, enleva la femme du grand chancelier du Conseil des Dix, se retira avec elle dans le Frioul, où il organisa une véritable armée de brigands. Il dévalisait, assassinait les passans, et s'en allait ensuite dans les villes des environs, où personne n'osait mettre la main sur lui. C'est ainsi qu'un jour, à la fête de Saint-Antoine, les habitans de Padoue le virent se promener dans leur ville, tout vêtu de rouge, au grand trot de quatre chevaux, dans un carrosse princier.