Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/901

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la cité fédérale. Pour autant qu’il réussit dans cet effort mondain, il le dut à la collaboration de l’aimable Mrs Dorothy Madison, femme de James Madison, secrétaire d’Etat et ami intime du président.

Il rompit d’ailleurs avec les traditions qu’avait établies Washington à New-York et à Philadelphie, abolit les fameuses « levées » et ne voulut pas même que l’on célébrât l’anniversaire de sa naissance.

Deux fois chaque année, le jour de l’an et le 4 juillet, fête de la Déclaration de l’indépendance, il ouvrait toutes grandes les portes de la Maison Exécutive. La foule se précipitait, dans les salles de réception à l’entrée desquelles se tenait le président, entouré de ses secrétaires. Sauf en ces deux occasions, la maison semblait close. Jefferson, retiré dans un coin de l’édifice, était si isolé dans cette maison vide et dans cette capitale sans habitans qu’il pouvait se croire à la campagne. Tandis que sa renommée se répandait dans le monde entier, il devenait de plus en plus casanier et n’entreprit, pendant ses huit années de présidence, aucune de ces grandes tournées que Washington considérait, non sans raison, comme un des devoirs essentiels de sa position. Le seul voyage qu’il fit volontiers était celui de la cité fédérale à sa propriété de Monticello (en Virginie, non loin du domaine de son ami Madison). Dès que l’été arrivait et que la session du Congrès était close, il se hâtait d’aller retrouver ses champs, ses noirs, ses plantations.

Durant l’hiver, il donnait de temps à autre à dîner, soit au monde officiel, soit à quelques intimes. Il appelait alors à son aide Mrs Madison, dont la présence enlevait tout de suite à l’hôtel de l’Exécutif son air rébarbatif de bâtiment inachevé et inhabité.


III

De 1790 à 1797, pendant la double présidence de Washington, il y avait eu autour des autorités fédérales et du Congrès un essai de vie sociale. Le président et sa femme, « lady » Washington, avaient formé autour d’eux comme une petite cour. D’ailleurs, les villes de New-York et de Philadelphie, où le Congrès et le gouvernement siégèrent avant 1800, offraient à cet égard des ressources que ne pouvait posséder le village fédéral des bords du Potomac. À New-York, les Clinton, les Jay, les Schuyler, les Livingstone, étaient à la tête d’une véritable élite sociale fondée sur la grande propriété foncière, la banque et le commerce.

Autour de Mrs Martha Washington se groupait un petit