Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/875

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
869
PENTHÉSILÉE.


de son veuvage volontaire, n’y dérogeant que pour participer à quelques réunions d’une stricte intimité ou pour assister à quelques concerts.

Ce fut précisément un dimanche, au Conservatoire, que je la rencontrai pour la première fois depuis mon retour. Je la saluai à la sortie.

La quinzaine suivante, je la revis encore : elle m’invita à l’aller voir.

Trois jours plus tard, j’étais chez elle. De cette entrevue qui fut banale et courte, j’emportai pourtant le désir de revenir.

Je revins, et bientôt mes visites se succédèrent à peu près régulièrement chaque semaine.

Elle ne démentait pas, en effet, la première impression que, de Palerme, j’avais emportée d’elle. Je lui retrouvais cette élégance personnelle et morale qui m’avait frappé tout d’abord, ce charme grave et doux qui inspirait l’envie des entretiens prolongés, des causeries intimes et sérieuses, et cette façon d’écouter qui donnait à sa physionomie une expression si vive et si fine.

À la mieux connaître, chaque jour on l’appréciait davantage ; car c’était vraiment un joli esprit de femme, net et doux, naturel et délicat, qui voyait clairement les choses, qui en tout discernait le point juste et dont toutes les opinions étaient comme nuancées de raison et d’agrément. Au hasard de la conversation, elle laissait tomber sur le monde, sur la vie, sur l’art ou la littérature, des réflexions ingénieuses, souvent profondes. Nul pédantisme, d’ailleurs, rien qui sentît la formule apprise ou la phrase de convention : elle était vraie en tout, sincère avec elle-même comme avec les autres, élégante dans toutes ses pensées comme dans ses moindres gestes. Il n’y avait non plus en elle ni froideur ni sécheresse, et, sous cette intelligence saine et droite, on devinait une sensibilité accessible à toutes les finesses, une source toujours vive de tendresse et d’émotion. C’était même là ce qui donnait un tour si personnel à son esprit. Par instant, des mots charmans lui partaient du cœur, soudains, imprévus, comme aux personnes spirituelles jaillissent les traits piquans et les brillantes reparties.

Le salon où elle me recevait me paraissait une oasis de fraîcheur et de sincérité au milieu du monde parisien, — un petit salon simple et harmonieux comme elle, toujours fleuri, où chaque chose révélait la régularité de son existence, la recherche de ses goûts, la distinction de toute sa personne.

D’abord espacées, mes visites devinrent bientôt fréquentes. J’y allais, un peu à toute heure, le plus souvent après déjeuner. Je la trouvais alors, les mains gantées de suède, soignant ses jardinières d’orchidées, appelant à son insu la comparaison entre elle