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Si les décors étaient négligés, les machines l’étaient moins. Cette caractéristique des temps modernes, levain qui transforma le vieux monde : la passion de l’impossible, qui fit accomplir tant de grandes choses, en fit faire aussi beaucoup de petites ; elle paraissait dans ces humbles détails : on négligeait le décor, mais on s’acharnait à construire des « engins. » Pendant qu’un drap blanc et un drap noir figuraient la lumière et le chaos, dès le XIIe siècle, dans le drame anglo-normand d’Adam, un serpent mécanique tentait la femme au Paradis Terrestre, « serpens artificiose compositus. » Eve émerveillée n’offrait que peu de résistance. Ailleurs un ange emporte Enoch « par un engin subtil » en Paradis Terrestre. Dans le Jugement dernier des mystères de Chester « on fera descendre Jésus comme dans un nuage, si on peut. » Mais on ne pouvait pas toujours. Les anges dans la miniature de Fouquet n’ont d’autre « engin » pour descendre sur terre qu’une échelle. Dans Marie-Madeleine (drame anglais du XVe siècle), une barque paraissait sur la place, avec son mât et sa voile, et transportait en Palestine le roi de Marseille.

L’enfer fut de tout temps la partie le plus soignée et la mieux machinée. La gueule s’ouvrait et se fermait, jetait des flammes par les naseaux, vomissait sur la foule ses démons, armés de harpons, poussant des hurlemens affreux. Des profondeurs de la gorge du monstre s’élevaient des bruits épouvantables : c’étaient les gémissemens des damnés ; on les imitait fort simplement en choquant entre elles « des marmites et casseroles ». Dans le drame d’Adam, les héros sont emmenés en enfer en attendant la descente du Christ, et la scène, d’après les indications du manuscrit, devait être ainsi figurée : « Alors viendra le Diable et trois ou quatre diables avec lui portant des chaînes dans leurs mains et des anneaux de fer qu’ils mettront au cou d’Adam et Eve. Quelques-uns les poussent, d’autres les tirent vers l’enfer. D’autres diables, attendant près de l’enfer les nouveaux venus, se livrent entre eux à des gambades en signe de joie pour la catastrophe. » Après l’entrée en enfer, les diables « en feront sortir une grande fumée ; ils vociféreront de joie, choquant leurs casseroles et chaudrons pour qu’on les entende du dehors. Après un moment, quelques diables sortiront et feront une course à travers la place. » Les marmites étaient d’un emploi fréquent ; Abel en avait une sous sa robe, et Caïn frappant dessus en tirait des sons lugubres, dont les auditeurs étaient tout attendris (même drame d’Adam).

Les « engins » se perfectionnèrent à mesure qu’on approcha de la Renaissance. Mais il fallait y consacrer beaucoup d’argent,