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Le drame religieux était en voie de perdre son caractère purement liturgique au moment où avait eu lieu la conquête d’Angleterre. Sous le règne des rois normands et angevins le goût des représentations dramatiques se répandît en Grande-Bretagne ; dès le siècle après Hastings nous les y trouvons abondantes et prospères.

La plus ancienne représentation dont on ait gardé la mémoire eut lieu chez nos voisins au commencement du XIIe siècle, et avait pour sujet l’histoire de cette sainte Catherine d’Alexandrie que l’empereur Maximin fit décapiter après qu’elle eut converti, dit-on, cinquante orateurs chargés de la ramener, à force d’éloquence, au paganisme. Les cinquante orateurs reçurent le baptême et furent brûlés vifs. La représentation avait été organisée par un Manceau de bonne famille, nommé Geoffrey, que Michard, abbé de Saint-Alban, avait fait venir de France pour diriger l’école attachée à l’abbaye. Mais comme il tarda à se mettre en route, il trouva à son arrivée l’école donnée à un autre. Dans le loisir qui lui était ainsi créé, il fit représenter à Dunslaple le « jeu » ou « miracle » de Sainte Catherine, « quemdam ludum de Sancta Katerina quem miracula vulgaritor appellamus. » Il emprunta au sacristain de Saint-Alban les chapes de l’abbaye pour habiller ses acteurs. Mais la nuit qui suivit la représentation, le feu prit à sa maison ; tous ses livres furent brûlés et les chapes aussi. « C’est pourquoi, ne sachant comment indemniser Dieu et Saint-Alban, il offrit sa personne en holocauste et prit l’habit religieux dans le couvent. Ainsi s’explique le zèle avec lequel, devenu abbé, il enrichit le couvent de chapes précieuses. » Car il devint abbé et mourut en 1146 après un règne de vingt-six ans, et Mathieu Paris, qui conte l’anecdote et dont on sait le goût pour les objets d’art, énumère et décrit tout au long les splendides vêtemens d’or et de pourpre, ornés de pierres précieuses, dont le Manceau Geoffrey enrichit le trésor du monastère.

Un peu plus tard, dans le même siècle, sous Henri II, un témoignage formel nous apprend que les « représentations de miracles » étaient d’un usage commun à Londres ; au siècle suivant, sous Henri III, on commence à écrire ces drames en anglais. Au XIVe siècle, du temps de Chaucer, les mystères sont à l’apogée de leur popularité ; les héros sont familiers à tous ; leurs dires deviennent des proverbes, et les rois mêmes se mettent en route pour aller assister aux représentations. Chaucer les avait vues bien souvent ; ses personnages y font de constantes allusions ; son meunier ivre ; crie « à la manière de Pilate » ; son joyeux Absalon joue le rôle du roi Hérode, et quelle Alison pouvait se montrer cruelle à un